Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/308

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Qu’as-tu donc? demanda enfin don Luis.

— Rien; je t’aime! dit la jeune femme en s’enfuyant vers sa chambre.

Au fond, Lorenza avait cruellement souffert en voyant son mari captivé par la cantatrice, et le long sanglot qu’elle venait d’étouffer avait mouillé sa joue d’une larme qu’elle parvint pourtant à dissimuler.


IV.

Le lendemain et le surlendemain de cette soirée, don Luis ne s’absenta que vers la nuit. Il s’occupait avec ardeur de parer l’hacienda, dont les Indiens, au détriment des autres travaux, furent employés à nettoyer la route et l’immense cour par laquelle on pénétrait dans l’habitation. Durant ce temps, doña Lorenza ne quitta guère son hamac, et parut à peine s’inquiéter des mille soins pris par son mari. Celui-ci, enivré de la perspective de posséder sous son toit la femme dont les coquetteries et l’étrange beauté le troublaient, dissimulait à peine sa joie. Le jour tant souhaité arriva, et vers une heure de l’après-midi l’impatient don Luis partit au-devant de ses hôtes.

Doña Lorenza était à sa toilette lorsque le cavalier se mit en selle; au bruit familier des pas de son cheval, elle accourut sur le balcon, le salua de la main, et le vit s’engager au galop parmi les roches. Il avait depuis longtemps disparu que, distraite, immobile, la jeune femme regardait encore la route au-dessus de laquelle de grands papillons voltigeaient, et qu’on eût dit jonchée de fleurs de pourpre et d’azur lorsqu’ils s’y posaient tous à la fois.

La journée s’annonçait comme devant être favorable : de minces nuages blancs, poussés par une fraîche brise, parcouraient le ciel et tempéraient les ardeurs du soleil. Le pic neigeux de l’Orizava, voilé par un amas de nuées, se dégageait de temps à autre de son orageuse couronne et apparaissait éblouissant. Alors les vautours, qui semblent prendre ce faîte pour but de leur vol audacieux, battaient l’air de leurs ailes puissantes, puis décrivaient de longues spirales en poussant des cris rauques et prolongés.

A deux heures, faisant raisonner les parquets et les dalles sous le talon des mignonnes bottes dont elle était chaussée, doña Lorenza descendit sur la tentasse, où un second hamac avait été suspendu, près du sien. Par un caprice peut-être calculé, elle avait revêtu l’antique costume de cheval des dames de son pays : simple veste de velours grenat, brodée d’argent et posée sur un corsage de satin blanc. Les noirs cheveux de la créole, tressés avec des fils d’or et de pourpre, retombaient en lourdes nattes et venaient se rattacher