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blanche, s’appuyait sur son bras. Doña Lorenza possédait les plus riches bijoux de la province; on avait compté sur elle pour éblouir l’étrangère, et il y eut une rumeur de surprise en la voyant apparaître si simplement vêtue. Ses amies l’entourèrent aussitôt pour l’interroger et la blâmer.

— Je me sentais un peu souffrante, répondit-elle, et je ne me suis décidée à venir qu’à la dernière heure, pour ne pas désobliger don Luis. Laisse-moi passer, Quirina, murmura-t-elle à l’oreille de son amie, je vais me cacher dans ce coin, car je veux voir avant d’être vue, afin de pouvoir étudier l’ennemi.

En dépit de sa tactique, doña Lorenza ne put se soustraire aux invités qui accouraient la saluer; installée sur un fauteuil à bascule, elle s’était contentée d’entrouvrir sa mantille, dont elle refusa de se débarrasser. Le regard de la jeune femme, en apparence indécis et voilé, suivait chacun des pas de son mari, qui, se croyant perdu dans la foule, manœuvrait pour se rapprocher de la cantatrice. Celle-ci, grave infraction aux lois de l’étiquette mexicaine, se leva de son fauteuil en apercevant don Luis et lui tendit la main. Pendant une demi-heure, sans cesser de causer avec les femmes qui l’entouraient, provoquant leur babil pour n’avoir point à parler elle-même, doña Lorenza ne perdit guère de vue la Wilson, dont elle épiait les moindres gestes. A un moment donné, la cantatrice, appuyée avec abandon sur le bras de don Luis, souriant à ce qu’il lui disait, traversa le salon avec lenteur. Doña Lorenza se redressa, et son regard enveloppa l’Américaine d’un sinistre éclair.

— Eh bien? dit doña Quirina, qui avait saisi le mouvement rapide de son amie.

— Elle est belle, répondit Lorenza, et d’une redoutable beauté.

— Je voudrais l’étouffer, murmura doña Quirina, qui, raidissant ses beaux bras, brisa son éventail.

— Fais-le donc! répliqua brusquement Lorenza d’un ton de défi. — Puis, tandis que son amie la regardait effarée, l’indolente créole se renversait de nouveau sur son fauteuil pour reprendre la pose qui lui était habituelle.

Albert, qui avait trop entendu parler de Lorenza Cortès pour ne pas se faire présenter à elle, vint s’asseoir près de la jeune femme. Celle-ci, maîtresse d’elle-même, se montra spirituelle, enjouée, et s’amusa des remarques du jeune Français, de la bonne opinion qu’il avait non-seulement de lui-même, mais de son pays. Sans en être prié, Albert parla de Paris, de ses amis, de sa famille, de la Wilson, dont il vanta le talent et la beauté, non sans glisser de temps à autre une fine galanterie à l’adresse de son interlocutrice.

— Quelle séduisante petite femme ! dit-il en se suspendant au