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heures, don Luis était à la ville, et doña Lorenza donna l’ordre de sonner la cloche qui, dans toute hacienda mexicaine, sert à rappeler les travailleurs. L’écho transmit de sommet en sommet la voix argentine qui le frappait, et bientôt des Indiens, marchant à la file et chantant un hymne mélancolique, apparurent sur tous les sentiers. Les outils furent déposés sous de vastes hangars; une distribution de maïs fut faite, et chaque travailleur regagna sa cabane cachée dans les bois. L’hacienda, un moment transformée en ruche bruyante, redevint silencieuse. L’orage passa sans éclater; mais l’électricité dont l’air était chargé agitait visiblement doña Lorenza. Elle commanda de seller son cheval favori, puis, se ravisant, le fit reconduire à l’écurie. Le vent du sud soufflait. Don Luis n’ayant pas paru à l’heure du repas, doña Lorenza, après avoir sucé quelques fruits, alla s’établir sur son balcon.

Lorsque vint la nuit, d’épais nuages cachèrent le ciel, et un feu s’alluma soudain au-dessus des roches qui encadraient le lac, éclairant la route qui conduisait à Cordova. C’était là un soin que ne manquait jamais de prendre doña Lorenza durant les nuits obscures, lorsque son mari était absent. Appuyée sur son balcon, elle regardait pensive l’Indien chargé d’entretenir le foyer passer et repasser devant la flamme comme une ombre fantastique. Les roches se teignaient de lueurs rouges, et de grandes chauves-souris, après avoir voltigé autour du brasier, venaient raser la surface du lac, qui, immobile en dépit des rafales, brillait comme de l’or en fusion. Ce soir-là, contre son habitude, doña Lorenza se tenait debout.

— Le maître tarde, dit une jolie métisse qui, assise sur ses talons, attendait l’heure de tresser les cheveux de sa maîtresse.

Doña Lorenza tressaillit; son visage se tourna rapidement vers la camériste, qui dans l’obscurité crut voir étinceler les grands yeux de la créole. — Oui, répondit celle-ci en étirant ses beaux bras, le maître tarde; mais il m’avait prévenue.

— Comme le vent souffle, señora! Et pourtant voyez le lac, il n’a pas une ride.

— Les rochers le protègent, et il faut plus qu’un souffle de la brise pour le troubler.

— C’est de l’eau morte, señora, les Indiens l’affirment.

— C’est de l’eau dormante, Nilda; que le vent du sud tourne à l’ouragan, et peut-être la verras-tu bondir et nous montrer ses profondeurs.

Nilda allait répondre; la main de sa maîtresse se posa sur sa tête comme pour lui imposer silence. On entendit les grands pins gémir sur les cimes, et le hurlement plaintif d’un chacal emplit la vallée de son bruit lugubre. Au même moment, un cavalier passa rapide