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Novgorod ou de Moscou. Peu importe que l’idiome du Petit-Russien mérite le titre de langue au lieu de celui de dialecte, — il en était bien ainsi de notre provençal, — peu importe que chez lui le sang slave soit moins mêlé, la nationalité ne se mesure ni à la langue ni à la pureté du sang : elle réside dans la conscience populaire, et a ce point de vue il n’y a pas de doute possible; en Russie, le Petit-Russe est aussi Russe que le Grand-Russe. Si quelques esprits, comme le poète Schevtchenko, ont été soupçonnés de songer à ériger la Petite-Russie en nation également indépendante de la Russie et de la Pologne, de pareils rêves n’ont pas trouvé plus d’écho chez les Petits-Russiens que n’en ont rencontré dans le sud de la France les projets de ligue du midi, et chez leurs rares partisans même les tendances accusées de séparatisme se bornaient peut-être à des souhaits de décentralisation et d’autonomie provinciale. Les différences de race, de dialecte, de caractère, qui distinguent les deux grandes tribus russes ne sont pas plus grandes que celles qui se rencontrent entre le nord et le midi des états de l’Occident dont l’unité ancienne ou récente est la mieux assise. Pour la race même, au nom de laquelle on prétend les séparer, il y a entre les tribus russes moins de distance qu’on ne l’imagine. Si le Grand-Russien a été plus mêlé aux Finnois, le Petit-Russien l’a été davantage aux Tatars, dont les princes de Kief ont recueilli des tribus entières, et les Cosaques des steppes de nombreux fugitifs ou compagnons d’aventures. Loin d’être en antagonisme naturel, le Petit-Russe et le Grand-Russe sont unis l’un à l’autre par tous les liens complexes qui rendent intime et durable l’unité d’une nation, par la géographie, par les traditions historiques, par les intérêts, par la religion, encore la première puissance chez l’un comme chez l’autre, et même par la parenté de la langue et de la race. Ils forment ensemble une des nations les plus compactes comme les plus nombreuses du globe et se complétant mutuellement, ils lui donnent dans l’unité cette complexité de caractère et de tempérament qui a fait la grandeur de tous les grands peuples de l’histoire.

La nation russe forme une masse de plus de 55 millions d’habitans placée au centre de l’empire sans pouvoir encore le remplir; presque nulle part, si ce n’est sur la Mer-Blanche et la Mer-Noire et le long de la Galicie orientale, le peuple russe n’atteint les limites de la Russie. Sur presque toutes ses frontières, il est entouré de populations d’origine étrangère divisées en deux bandes principales, l’une à l’est, vers l’Asie, composée de Finnois, de Tatars, de Kalmouks, — l’autre plus considérable à l’ouest, vers l’Europe, à son côté le plus vulnérable, au seul où elle confine à de puissans voisins. Il est encore à remarquer que le principal élément de la nation, celui qui en forme le noyau, le Grand-Russien, ne touche