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cien avec des rameaux caucasiques, et par là même augmente indirectement la parenté des Russes avec nous. Comme il est impossible de le rejeter de la race caucasique dans la mongolique, il est difficile de refuser au Grand-Russe le titre de Slave; il faudrait alors l’enlever à la plupart des peuples slavons, dont pas un peut-être n’est resté sans subir d’alliage. Les Slaves occidentaux ont été mêlés avec les Germains et peut-être, sur la Vistule, avec les Finnois, les Slaves du sud avec les Grecs, les anciens Illyriens, les Albanais, les Turcs, et l’un de leurs deux principaux peuples, le Bulgare, est le résultat d’alliances ethnologiques fort analogues à celles d’où est sorti le Moscovite.

En résumé, pour la race comme pour le sol, si la Russie diffère de l’Occident, elle diffère encore plus de la vieille Asie : pour l’un comme pour l’autre, elle est une conquête progressive de celui-là sur celle-ci; mais la vie et la civilisation européenne s’y trouvent dans des conditions nouvelles qui rendent sa marche impossible à prévoir. Des deux grands élémens ethniques de la Russie, l’élément le plus européen, le slave, nous est dans son génie presque aussi inconnu que l’autre, et nous ne pouvons savoir quelles surprises réserve à l’avenir le singulier peuple sorti de leur fusion, — ce peuple absorbant toutes les autres populations, se les assimilant moralement comme matériellement, et n’ayant encore rien produit lui-même.

Les Petits-Russiens sont les méridionaux de la Russie. Plus purs de race que leurs frères de la Grande-Russie, plus voisins de l’Occident, ils tiennent leur caractère d’un sang moins mêlé, d’un climat moins sévère, d’une histoire moins rude. Ils sont plus beaux de visage et plus grands de taille, ils sont plus vifs et plus gais d’esprit, à la fois plus mobiles et plus indolens. Moins éprouvés par le climat et par le despotisme oriental, le Petit-Russien et le Russien-Blanc ont plus de dignité, plus d’indépendance, plus d’individualité que le Grand-Russien; ils ont l’esprit moins positif, plus ouvert au sentiment, plus rêveur et poétique. Toutes ces différences de caractère se retrouvent dans les poésies de chacun des deux groupes, dans leurs fêtes et leurs coutumes populaires, bien que les diversités provinciales aillent en s’atténuant sous l’influence du rameau grand-russien, qui tend à s’assimiler les Russes occidentaux tout comme les autres populations de l’empire. Le contraste est encore visible dans la famille et dans la commune, dans la maison et dans les villages des deux tribus. La commune russe, avec la propriété collective du sol, est une institution spéciale aux Grands-Russiens et originairement étrangère aux Petits-Russiens. Chez ceux-ci, l’individu est plus indépendant, la famille moins agglomérée, les maisons plus librement construites et espacées, les champs moins symétrique-