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être croisés de Finnois ou de Tatars, ils ne sont devenus ni l’un ni l’autre, et de ce qu’ils ne sont point de pure race indo-européenne, il ne suit pas que ce soient des Touraniens. La langue et l’éducation historique ne sont pas leurs seuls titres au nom de Slaves. Le Russe de la Grande-Russie n’est point seulement slavon, comme la France ou l’Espagne sont latines, par les traditions et la civilisation, par adoption, pour ainsi dire par l’âme ; le Grand-Russe est slave aussi par filiation directe, par le corps, par la race. Une part notable du sang de ses veines est slavonne et caucasique. La proportion est difficile, impossible à déterminer ; elle varie suivant les régions, elle varie suivant les classes, qui longtemps ont formé des castes plus ou moins fermées. Elle est plus grande dans les pays d’ancienne colonisation, par exemple au bord des rivières le long desquelles les Slaves se sont Jadis avancés. Parfois, en marchant du bord d’un fleuve dans l’intérieur des terres, on peut passer d’un type presque tout slave à un type presque tout finnois, jusqu’à reconnaître de simples Finnois russifiés, qui, en perdant leur langue, ont conservé leur costume. La part du sang slave dans la masse de la nation n’en reste pas moins considérable, si ce n’est prépondérante. Toutes les raisons qui nous ont montré chez le Russe un alliage finnois nous font retrouver chez lui un fond slavon. C’est d’abord l’histoire, puis la situation relative des différens groupes finnois, puis l’anthropologie et le type russe lui-même. La Grande-Russie n’a pas été soumise par les Slaves de Novgorod et de Kief en quelques brèves expéditions militaires. Ce ne fut pas une conquête, une simple occupation à main armée, sans autre révolution qu’un changement de dynastie ou de propriétaires du sol : ce fut une longue et lente colonisation, comme une infiltration sourde et séculaire des Slaves, qui a cela de remarquable, qu’elle a presque échappé aux annalistes contemporains, et que l’histoire en devine le début sans en pouvoir fixer les phases[1]. À cela, il n’y a rien à comparer en Occident ; mais pour donner une idée des résultats possibles d’une pareille occupation, et montrer comment, à une époque historique même, une race peut dans un pays succéder à une autre, on pourrait citer l’établissement des Angles et des Saxons dans l’Angleterre, qui alors était celte, et à laquelle on conteste peu aujourd’hui le nom d’anglo-saxonne, La colonisation de la Grande-Russie par les Russes occidentaux, à travers d’immenses forêts peu peuplées, dut être assez semblable à celle qui se poursuit encore de nos jours dans les provinces à demi désertes de l’est et du sud. On ne saurait se représenter ces forêts du nord à l’époque

  1. Cette importante question des origines historiques du Grand-Russien a été savamment discutée dans le tome II de la première année du Vestnik Evropi, par M. Kavéline, Muili i Zametki o Russkoï istorii.