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à celle de Mahomet avait été beaucoup plus fréquent. Toute l’Asie occidentale, la Syrie et l’Asie-Mineure, toute l’Afrique septentrionale, l’Egypte et la Barbarie n’en témoignent que trop. Dans l’Europe même, dont les extrémités seules ont été entamées par l’islamisme, les Serbes de Bosnie, les Albanais, les Pomaks ou Bulgares mahométans, certains Grecs de Candie et les populations d’origine grecque ou gothique de Crimée ont montré le même phénomène, tandis qu’il serait difficile de citer un peuple, presque une seule tribu musulmane, qui ait jamais embrassé la foi chrétienne. La raison n’en est pas seulement que l’islam est mieux adapté à certaines races et à certains pays; elle doit être aussi cherchée dans la position réciproque des deux religions. L’islamisme est une doctrine plus nouvelle que le christianisme et en grande partie dirigée directement contre lui; c’est une foi plus simple au point de vue dogmatique, et, en apparence au moins, plus rigoureusement monothéiste, plus éloignée de tout anthropomorphisme. Le musulman émigré ou dépérit devant le chrétien, il ne se convertit point, et le mélange des deux races ne peut avoir lieu que par la conversion de l’une à la foi de l’autre. Certes en Russie l’exemple ou l’intérêt, le prosélytisme privé ou officiel, ont depuis trois ou quatre siècles fait au profit du christianisme plus d’une conquête parmi les Tatars. Quelques-unes des grandes familles russes proviennent de cette source, et avec le baptême ont échangé le titre de mourza tatar pour celui de kniaz russe; mais ces apostasies, alors même qu’elles se faisaient en troupe, ont toujours été relativement rares, incapables de troubler la pureté du sang moscovite. Elles avaient lieu parmi des populations en partie déjà mêlées elles-mêmes à leurs nouveaux maîtres chrétiens ou à leurs anciens sujets finnois. En dehors de la Russie et de ses habitans slaves, les Tatars devaient avoir subi un certain croisement avec les races caucasiques, d’abord dans leur berceau même, dans le Turkestan, où de temps immémorial ont habité de nombreuses tribus persanes et iraniennes, comme les Sarthes, puis sur les routes d’invasion, dans le Caucase, où la communauté de religion facilitait des alliances que la beauté des Circassiennes dut faire souvent rechercher des Turcs de Russie comme de ceux du Bosphore.

Si dans les veines du peuple russe s’est introduit un notable courant de sang tatar, ce n’est point des hordes de Batou et des envahisseurs du XIIIe siècle qu’il découle, c’est des peuples congénères qui pendant des milliers d’années ont parcouru ou habité le midi de la Russie, depuis les Scythes de l’antiquité jusqu’aux Khazars, aux Petchénègues, aux Koumans ou Polovtzi du moyen âge. Sous le nom de Scythes, les anciens ont, comme ils le faisaient souvent, confondu des populations qui n’avaient entre elles aucune parenté ethnolo-