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Les Kalmouks demeurés dans les steppes caspiennes sous la souveraineté russe sont encore bouddhistes ; ils ont pour chef un grand-lama nommé depuis le commencement du siècle par le tsar, et dont la résidence est dans le voisinage d’Astrakan. C’est un fait qui sur leur destinée respective a eu une influence capitale que les trois principaux rameaux de la race ouralo-altaïque se sont partagés entre les trois principales religions du vieux continent. Le Finnois s’est fait chrétien, le Turc ou Tatar musulman, le Mongol bouddhiste. À cette distribution ethnologique des croyances, il y a peu d’exceptions dans une branche ou l’autre. Cette seule répartition des trois groupes sous les trois étendards religieux les plus hostiles ne se peut entièrement expliquer par la position géographique et les influences de l’histoire. Avec un égal manque d’invention et d’originalité, elle suffirait à montrer dans le tempérament et la constitution morale des trois familles humaines, qui ont emprunté aux Aryens et aux Sémites les trois conceptions religieuses les plus opposées, des différences considérables. Quant aux effets, ils ont été énormes. C’est dans cette diversité de croyances par-dessus toute autre chose qu’il faut chercher les causes du sort si différent de ces trois groupes, et en particulier des deux plus voisins, le finnois et le tatar. C’est la religion qui a préparé l’un à la vie européenne ; c’est la religion qui y a soustrait l’autre. Avec l’islamisme, le Tatar a eu une civilisation plus précoce et plus nationale ; il a construit des villes florissantes comme Kazan, il a fondé en Europe et en Asie des états puissans ; avec l’islamisme, il a eu un passé plus brillant, mais avec lui il est exposé à un avenir plus difficile : la foi musulmane, qui l’a préservé de l’absorption de l’Europe, l’a en même temps laissé en dehors de sa civilisation.

Ce sont les Tatars qui ont si longtemps valu aux Russes le nom de Mongols, et les Tatars eux-mêmes n’y ont aucun droit. Devant la réforme aujourd’hui entreprise au Japon par une sorte de Pierre le Grand asiatique, on ne peut savoir si de semblables épithètes seront toujours une injure ; elles n’en doivent pas moins être abandonnées à l’égard des Russes, non parce qu’elles sont blessantes, mais parce qu’elles proviennent de l’ignorance ou d’une équivoque[1]. Les Russes n’ont point dans leurs veines de sang mongol ; ont-ils beau-

  1. Pour éviter tout malentendu, il faut se rappeler qu’en ethnologie les termes de mongolique et de mongol sont loin d’être synonymes, et que l’un est beaucoup plus général, plus compréhensif que l’autre. Le mot mongolique s’applique à une des grandes races humaines appelée jadis race jaune, par opposition à la race blanche, caucasique ou méditerranéenne. Dans cette race mongolique se classe la branche ouralo-altaïque, qui se subdivise à son tour en plusieurs rameaux, dont les principaux sont le finnois, le tatar ou turc et le mongol, de même que de la souche caucasique provient la branche aryenne ou indo-européenne, qui se subdivise également en plusieurs rameaux, le celte, le germain, le slave, l’iranien, etc.