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finie du côté de l’Asie ni du côté de l’Europe, avec des rives plates et basses sur toutes ses mers, la Russie a été ouverte à toutes les invasions, elle a été la grande route d’émigration d’Asie en Europe. Nulle part les couches des alluvions humaines n’ont été plus nombreuses, nulle part elles n’ont été plus mêlées, plus brisées et disloquées que sur ces espaces aplanis où chaque flot poussé par le flot suivant ne rencontrait d’obstacle que dans la vague qui l’avait précédé. À l’époque historique seule, il est difficile d’énumérer les peuples qui se sont établis sur le sol russe et y ont formé des empires plus ou moins durables, Scythes, Sarmates, Goths, Avares, Bulgares, Ougres ou Hongrois, Khazars, Petchénègues, Koumans, Lithuaniens, Mongols, Tatars, sans compter les vieilles migrations des Celtes et des Germains et toutes celles des peuples dont les noms mêmes ont péri, mais dont les plus obscurs ont pu laisser dans la population russe une trace aujourd’hui impossible à retrouver.

La configuration de la Russie la livrait aux invasions de toutes les races, la structure du sol russe interdisait à ces races de s’y constituer en nations, en peuples indépendans les uns des autres. Au lieu de provenir de la lente élaboration des conditions physiques, cette multiplicité de races et de tribus n’était qu’un héritage historique. En dehors des landes glacées du nord, où ne peuvent vivre que des peuplades de chasseurs ou de pêcheurs, en dehors des steppes de sable ou de sel du sud-est, faites pour des pasteurs nomades, cette complexité de races et de tribus, loin d’être le résultat d’une adaptation au sol, loin d’être en harmonie avec les conditions de la vie, était en opposition avec elles. Au lieu de diversifier les races, les influences du milieu tendaient à les rapprocher et à les ramener à l’unité. Le sol leur refusait des frontières, des barrières, entre lesquelles elles pussent se retrancher, se grouper et mener une vie isolée. Dans l’immense quadrilatère compris entre l’Océan-Glacial et la Mer-Noire, entre la Baltique et l’Oural, pas une montagne, rien de ce qui partage, rien de ce qui divise. Dans toutes ces plaines, aucun de ces compartimens naturels qui servent de limite et comme de cadre aux peuples. Sur cette surface, les différentes races ont été obligées de se répandre comme au hasard, ainsi que des eaux qui ne trouvent pas de faîte pour les séparer, point de bords pour les contenir. Alors même que les coutumes, la religion, la langue, les empêchaient de se mêler, elles étaient contraintes de vivre à côté les unes des autres, de se pénétrer, de s’entre-croiser de toute façon, comme des rivières qui se jettent dans le même fleuve, et qui à leur confluent roulent sans les confondre leurs eaux dans le même lit. Ainsi épars et juxtaposés, souvent enclavés les uns dans les autres, les peuples et les tribus de la Russie n’ont pu atteindre à une