Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une fois installée dans sa nouvelle demeure, la femme du marchand envoyait sans cesse Vasilissa dans la forêt, tantôt pour une raison, tantôt pour une autre; mais la jeune fille revenait toujours saine et sauve, la poupée lui indiquait le chemin, et ne la laissait jamais aller près de la demeure de la baba-yaga.

La saison d’automne arriva. Un certain soir, la belle-mère distribua leur tâche à ses trois filles : à l’une de la dentelle, à l’autre des chaussures à tricoter, à Vasilissa de la toile à tisser. Elle emporta successivement toutes les lumières de la maison, ne laissant qu’une chandelle allumée dans la chambre où les jeunes filles travaillaient, et elle alla se coucher. Les jeunes filles travaillaient, travaillaient : la chandelle eut besoin d’être mouchée; l’une des filles prit les mouchettes, et d’après les ordres de sa mère elle éteignit la bougie, comme par accident.

— Que faire maintenant? dirent les jeunes filles. Il n’y a point une étincelle de feu dans la maison, et notre tâche n’est pas finie. Il faut aller chez la baba-yaga lui demander de la lumière !

— Mes épingles me donnent assez de lumière, dit la dentellière.

— Je n’irai point, répondit la tricoteuse, mes aiguilles me donnent assez de lumière.

— Vasilissa, il faut que tu ailles chercher de la lumière, crièrent-elles toutes deux; va chez la baba-yaga. — Et elles poussèrent Vasilissa hors de la salle.

Elle monta dans son réduit, mit devant la poupée un souper qu’elle avait préparé d’avance. — Mange, petite, et exauce ma prière; on m’envoie chez la baba-yaga pour chercher de la lumière; elle me dévorera.

La poupée soupa; ses yeux brillèrent comme des lumières. — Ne crains rien, chère Vasilissa. Va où l’on l’envoie. Prends seulement bien soin de me garder toujours avec toi. Tant que je serai avec toi, il ne t’arrivera aucun mal chez la baba-yaga.

Vasilissa se prépara, mit la poupée dans sa poche, fit le signe de la croix, et s’en alla dans la forêt profonde.

Elle marche en tremblant. Tout à coup un cavalier passe au galop. Il est blanc, vêtu de blanc; il monte un cheval blanc, avec des harnais blancs. Le jour commence à luire.

Elle continue sa marche : un second cavalier passe; il est rouge, vêtu de rouge, monté sur un cheval rouge; le soleil se lève.

Vasilissa marcha toute la nuit et le jour suivant; le soir seulement, elle atteignit la clairière où s’élevait la demeure de la baba-yaga. Une palissade d’ossemens humains l’entourait; elle était surmontée de crânes où les yeux étaient restés; les montans des portes étaient des tibias humains, les loquets des bras; en guise de serrure, il y avait une bouche garnie de dents aiguës.

Vasilissa était hors d’elle-même de terreur; elle se tenait immobile, comme rivée au sol. Tout à coup un autre cavalier passa; il était noir,