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maison, on la reprenait par le pied et on refaisait les gros murs.

Faute de cette templanza ou de cette vertu de la modération qui est si nécessaire dans toutes les affaires d’état, les progressistes ne se sont pas assez défiés de cette inclination qui porte les peuples latins à chercher l’absolu dans la politique, à décréter des décalogues du haut d’un mont Sinaï, La politique est une science expérimentale, et en vérité, comme la médecine, moins encore une science qu’un art. Que dirait-on d’un médecin qui ordonnerait le même régime à tous ses malades sans tenir compte de leur tempérament ? et que faut-il penser des hommes d’état qui imposent des institutions à un peuple sans consulter ses mœurs, ses traditions, ni son histoire ? Le malheur des progressistes est d’avoir été trop longtemps dans l’opposition, de s’être accoutumés à considérer le pouvoir comme un ennemi auquel il faut rendre l’existence amère ou impossible. Aussitôt qu’ils ont prévalu dans les cortès, ils se sont occupés de réduire une autorité que de longs déboires leur avaient appris à haïr, et ils ont proclamé toutes les libertés sans tempérament et sans précaution. Ont-ils eu en main le pouvoir, ils ont senti bientôt que les lois qu’ils avaient fait passer étaient inapplicables. C’étaient ce qu’on appelle en Espagne des constitutions de jours de fête, fort bonnes quand tout le monde est d’accord pour pavoiser sa maison, impraticables dès qu’on ne s’entend plus et qu’un gouvernement menacé a besoin de se défendre. Les auteurs de ces institutions se voyaient dans l’impossibilité de gouverner légalement ; ils suppléaient à la loi par des expédiens ou se tiraient d’affaire par des coups de force, et, après avoir été parfaitement libéraux, ils devenaient parfaitement arbitraires. Sous l’ancien régime, l’Espagne était un pays où le pouvoir avait le droit de tout faire et le peuple le droit de ne rien dire. Aujourd’hui le peuple a conquis le droit de tout dire ; quand le pouvoir renoncera-t-il à la liberté de tout faire ?

Une autre maladie organique qui travaille l’Espagne est ce singulier penchant à l’anarchie ou au morcellement politique, dont elle a donné tant de témoignages manifestes, jamais plus, il est vrai, que dans ces jours de fédéralisme où non-seulement chaque commune, mais chaque Espagnol, si M.  Salmeron n’y mettait ordre, finirait par se transformer en un canton fédéral. Avant d’être une nation, l’Espagne fut une collection de petits états indépendans toujours aux prises les uns avec les attires ; huit siècles de guerre civile, voilà son histoire au moyen âge. Ferdinand et Isabelle sont venus, et après eux la maison d’Autriche, qui a substitué le despotisme au chaos ; mais dans la pensée de Charles-Quint et de ses successeurs le plus sûr garant de l’unité nationale était l’unité religieuse, et ils n’ont point cherché, comme cela s’est fait ailleurs, à établir solidement dans les provinces l’unité administrative et civile. Il leur a