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vail l’industrie, tout est suspendu. D’un autre côté, ces chefs militaires qui ont accepté un commandement pour aller combattre les insurrections du sud, et qui commencent à se sentir un peu plus sûrs de leurs troupes, ne semblent pas d’humeur à tout supporter. Ils demandent si on veut pacifier sérieusement l’Andalousie, ou bien si on les envoie au feu pour négocier aussitôt avec les « intransigens, » pour ménager ou amnistier ceux qui tuent leurs soldats. Le général Pavia s’est fait, il y a peu de jours, une affaire avec le gouvernement, parce qu’il voulait rentrer militairement à Malaga ; on le lui a refusé, et il s’est fâché ; on a fini par lui donner une demi-satisfaction qui n’aboutit à rien. Entre les généraux et le gouvernement, les conflits de ce genre sont inévitables. En attendant, le plus pressé est d’en finir avec l’insurrection, qu’il faut maintenant aller attaquer dans son dernier foyer, à Carthagène, où elle s’est retranchée.

Là le fédéralisme s’épanouit librement. On ne fait plus rien, et tout le monde gouverne. Il y a un général en chef, qui est Contreras, une junte de salut public, qui émet du papier-monnaie, un cabinet complet avec ministres des finances, de l’intérieur, des affaires étrangères et même des colonies ! C’est le modèle de l’Espagne fédéralisée. Un journal anglais décrivait récemment le spectacle fantastique et comique de cette forteresse de premier rang « tombée par hasard au pouvoir d’une réunion d’orateurs de clubs, d’officiers, d’ouvriers, sans la moindre notion de ce qu’il faut pour gouverner, et soutenus par des marins qui ne savent pas naviguer, des soldats qui ne voudraient pas se battre, et des artilleurs qui ne savent pas pointer un canon. » Malgré tout, ces étranges défenseurs de la république fédérale semblent disposés à la résistance, et comme la place est forte, munie d’une nombreuse artillerie, approvisionnée de vivres, il peut n’être pas facile de la prendre, à moins que la défection ne se mette parmi les insurgés. Le général Martinez Campos est chargé de l’attaque de Carthagène, il est maintenant devant la place. Malheureusement il a dû attendre les renforts, les moyens d’action qu’on lui a promis, et d’un autre côté on ne paraît guère en mesure de seconder l’opération par la mer, par un blocus du port. Le gouvernement n’a pu obtenir des marines étrangères la restitution des frégates enlevées dès le début aux insurgés par le capitaine allemand Werner, et d’ailleurs il n’a plus ni équipages ni officiers pour armer les navires qui lui restent. La flotte de l’Espagne est aussi désorganisée que son armée de terre. La question est de savoir si le canon de Martinez Campos suffira pour déconcerter les insurgés de Carthagène et pour rendre un peu de courage à la masse de la population, qui ne demande que la paix. De ce côté, on peut espérer abattre sans trop de retard l’insurrection armée ; seulement rien ne sera résolu, si le lendemain le gouvernement laisse l’agitation et la confusion se prolonger sous un drapeau prétendu pacifique. Ce sera une insurrection ajournée, voilà tout.