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dés formes, parce que toutes les formes ont menti, il s’agit de savoir quel est le gouvernement, de quelque nom qu’il se décore, qui peut le mieux aujourd’hui garantir la liberté, telle que l’entendent les sociétés modernes, et répondre aux nécessités laborieuses, douloureuses de la situation de la France dans le monde. Pourquoi s’est-on tourné de nouveau vers la monarchie ? Il y a eu sans doute plusieurs raisons, dont l’une, la plus élevée, la plus grave peut-être, est que la monarchie, par cela même qu’elle est censée avoir un caractère plus durable, permet plus de suite dans la politique extérieure d’une grande nation ; mais il y a eu certainement aussi une autre raison plus palpable, tirée de notre vie de tous les jours, c’est que depuis deux ans les républicains ; ont fait tout ce qu’ils ont pu pour rendre la république difficile.

Elle existait pourtant, cette république ; elle avait eu la fortune de trouver, pour la conduire à travers les écueils, un homme habile, expérimenté, fait pour rassurer tous les intérêts et les instincts conservateurs. On a prétendu qu’on avait voulu l’aider dans son œuvre, on l’a renversé d’un seul coup par les élections radicales de Paris et de Lyon. Les radicaux ont beau faire, pour eux la république c’est l’agitation indéfinie, la révolte incessante contre la loi, la propagande révolutionnaire sous toutes les formes, La propagande, on la met jusque dans les distributions de prix des écoles primaires, jusque dans des discours adressés à des enfans. Qu’on parcoure les dernières délibérations des conseils-généraux, partout où il [y a une tentative pour éluder la loi, une manifestation politique, une motion déguisée ou même directe d’hostilité contre le gouvernement ou contre l’assemblée, une discussion irritante, il y a là un radical, qu’on en soit sûr. Les radicaux ont une manière d’entendre la république, ils en font un fétiche qui est à eux et rien qu’à eux ; ils prononcent son nom avec recueillement et enthousiasme comme le royaliste le plus exalté prononce le nom du roi. La république est une façon de reine à eux, ils veulent avoir son portrait, et il y a un conseiller-général qui, ces jours derniers, a tenu absolument à faire voter des fonds pour un buste de la république. Se figure-t-on bien ce qu’il y a d’étrange dans cette idée de représenter sous les apparences d’une grosse femme coiffée d’un bonnet phrygien l’institution politique la plus impersonnelle, qui est le gouvernement du pays par le pays, l’application de la liberté sous toutes les formes ? Les républicains se moquent parfois des idolâtries monarchiques, ils ont des idolâtries bien plus singulières, bien plus ridicules, et, chose plus grave, ils prétendent faire de leur fétichisme une religion à laquelle tout le monde doit se soumettre, qui a ses emblèmes, ses rites et ses initiés, sans parler de ses pontifes. C’est avec ces puérilités et ces fanatismes alliés à l’esprit le plus exclusif qu’ils ont cru servir la république ; ils n’ont fait que la compromettre et la rendre suspecte en laissant croire que la liberté serait aussi peu en sûreté que l’ordre sous une république