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produit net du travail commun, auquel ont concouru soit de leurs bras, soit de leur capital, les divers membres de la communauté domestique; seul l’héritier a renoncé d’abord au produit net de son propre travail. Quelquefois c’est l’aîné que le père choisit, mais quelquefois c’est un cadet. Il peut arriver, si c’est une fille qui soit l’aînée, qu’elle soit désignée comme héritière; elle se marie : ses premiers enfans naissent en même temps que ses derniers frères et sœurs, et la fécondité d’une même génération se trouve doublée. L’empire des mœurs locales aidant, les enfans acceptent les évaluations et les dispositions paternelles, et maintiennent, même au prix de sacrifices, avec l’institution d’héritier, le foyer et le domaine des aïeux. M. de Ribbe nous montre ce mécanisme en action, d’abord en citant de nombreux testamens qu’il a consultés chez les notaires, et puis par divers témoignages des Ivres de raison. M. Le Play avait précédemment donné la même démonstration par une de ces photographies sociales (l’expression est de lui) à l’aide desquelles il a décrit les ménages d’ouvriers. Il faut lire dans son livre sur l’organisation de la famille son intéressante peinture d’une famille-souche du Lavedan en 1856, de ces Mélouga, modestes habitans depuis quatre siècles d’un petit domaine à Cauterets.

Or les quatre cents ans de tradition vertueuse qui honorent de telles familles n’auraient pas été possibles, disent les adversaires du code civil, avec le partage égal (article 745), aggravé de cette disposition de l’article 826 en vertu de laquelle « chacun des co-héritiers peut demander sa part en nature des meubles et immeubles de la succession. » La faculté de transmettre ses biens comme on l’entend est cependant la marque suprême du droit de propriété : c’est attaquer ce droit, première assise de la vie sociale, que de restreindre la liberté de tester du père. On affaiblit, assure-t-on, du même coup, avec le sentiment de respect que doit inspirer l’autorité paternelle, les liens de bienveillance affectueuse qui uniraient les membres d’une même famille, s’ils vivaient non dispersés. On empêche que le patrimoine rural, que l’usine une fois fondée reste un long temps dans une même famille; le plus souvent on la démembre et on l’anéantit. Tous les trente ans environ, selon l’énergique expression de M. de Ribbe, la loi, fonctionnant à la manière du hache-paille ou du concasseur de grains, vient couper le pivot de la souche domestique. Les frais de succession achèvent l’œuvre. Un ouvrier propriétaire du Nivernais, mort en 1839, laissait à quatre enfans en bas âge une chaumière et une petite propriété, fruits des épargnes de toute sa vie, et valant ensemble 900 francs. La vente en justice en fut faite au prix de 725 francs; les frais de la liquidation étaient de 694 fr. 63 centimes. Il ne resta donc aux mineurs que 30 francs 37 centimes. De même le compte-rendu pour la justice