Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

représentée encore aujourd’hui dans notre société parisienne. Nul ne sera tenté de récuser ni de mettre en doute les éloquens témoignages que M. de Ribbe a cités; à ces signes, on reconnaît encore une fois le grand caractère qui a marqué la société française. Voyons cependant jusqu’à quelles conclusions l’auteur du livre des Familles entend nous conduire, à quelle distance il croit que nous sommes aujourd’hui des vertus d’autrefois, et quels remèdes pratiques il conseille pour sauvegarder l’avenir.

La prérogative suprême du père de famille tel qu’il apparaît dans les documens du passé est, pour M. de Ribbe, la liberté du testament. Il voit dans la liberté de tester, que le droit coutumier autorisait en plusieurs parties de la France, une ferme assise de l’édifice social, ébranlée aujourd’hui. « Le testament, dit-il, est une des clés les plus importantes du problème libéral de notre temps, il est le point décisif auquel nous conduisent nos études sur la famille; mais le terrain que nous abordons est brûlant, et nous ne pouvons nous dissimuler le pouvoir qu’exercent sur les esprits les idées préconçues dans lesquelles notre génération a été élevée. » On voit, à ces précautions oratoires, que l’auteur va exprimer ici toute sa thèse, et ses prochaines conclusions commencent à poindre; il faut qu’elles soient bien contraires à l’opinion de notre temps pour que M. de Ribbe les introduise de la sorte. Au point de vue philosophique et religieux, la liberté de tester n’est rien moins, suivant lui, que le triomphe du spiritualisme sur la matière et la mort. L’homme prolonge son existence en faisant obéir pendant des années, pendant des siècles peut-être, ses dernières dispositions, ses volontés, ses conseils, ses fondations charitables; il sera obéi tant que la religion de ses descendans et la législation de son pays croiront à la seconde vie qui, au-delà de cette terre, lui aura été acquise. La liberté de tester est le triomphe de la majesté du père de famille, qu’elle transforme en juge suprême pour récompenser ses enfans selon le degré de leurs mérites, et c’est de là que dépend en grande partie la tradition du respect, fort affaibli dans la famille moderne. Le droit de tester librement est en outre le triomphe de la liberté civile. Contesté et gêné quand la liberté civile est mal assise ou compromise, il est respecté quand elle a dans la société la place qui lui appartient, La propriété étant la légitime conquête de la liberté de l’homme sur la matière, et le testament étant la plus énergique expression du droit de propriété, il s’ensuit que, tant vaut la liberté civile dans un état, tant y vaut le testament.

On comprend bien où M. de Ribbe, avec cet éloge enthousiaste de la liberté de tester, veut nous conduire : à la critique amère du code civil, qui établit le partage des biens entre les héritiers; le partage égal, voilà le danger, voilà le fléau. M. de Ribbe n’est pas