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à des familles de bourgeois ou de paysans, de sorte que l’examen qu’on peut faire à l’aide de ces livres porte principalement sur les classes moyennes et sur les représentans de la petite propriété. Tandis que la plupart des ouvrages traitant de l’ancien régime semblent ne nous montrer que la grande propriété et les conditions d’une société aristocratique, le mérite particulier du travail de M. de Ribbe est d’attirer nos regards sur l’état matériel et moral des classes moyennes en France avant 1789. Les livres de raison ne sont nulle part réunis, de sorte qu’il a fallu beaucoup de temps et beaucoup de peine pour obtenir les élémens de cette étude. L’auteur a dû, pendant plusieurs années, parcourir nos villes et nos campagnes du midi, aller de foyer en foyer, de ferme en ferme, heureux lorsque, après avoir découvert l’existence de quelqu’un de ces monumens, il ne s’en voyait pas refuser l’accès.

L’ouvrage de M. de Ribbe ne s’offre d’abord que comme une enquête limitée au sud-est de la France et qui puise ses renseignemens dans les seuls livres de raison ; mais il ne tarde pas à généraliser son étude, et il invoque un très grand nombre de documens d’autre nature, presque tous inédits. Quand il cite les livres de consulat, c’est-à-dire ces registres de villes qu’on désigne par la couleur de leur reliure, livre rouge, livre vert, livre noir, et où les administrateurs et magistrats inscrivaient tout le ménage des cités, ce n’est pas trop s’éloigner, à vrai dire, des registres de famille. Les uns comme les autres mêlaient souvent aux annotations officielles des observations morales et religieuses : une petite commune rurale met en tête de ses délibérations, en l’année 1587, la sentence latine : Benedictione justorum exaltabitur civitas, et ab ore impiorum subvertetur, la bénédiction des justes fera prospérer la cité, la parole des impies entraînera sa ruine, — maxime peu rassurante, par parenthèse, en un temps de guerres religieuses, alors qu’on observait des règles beaucoup trop arbitraires et trop variables pour distinguer ce qu’on croyait devoir appeler les justes et les impies. Dans une autre commune, au temps de Louis XIII, le registre des délibérations porte à son frontispice tout un passage traduit de la République de Platon. M. de Ribbe invoque, outre ceux-là, bien d’autres documens encore, testamens, actes de vente, contrats de toute sorte, chartes, statuts, règlemens traditionnels, mercuriales du parlement; il dépouille, en même temps que les greffes, les études des notaires. Il en résulte qu’on rencontre dans son récit une multitude de citations assurément précieuses, mais dont il n’indique pas toujours les sources. Ses livres de raison se trouvent presque tous entre les mains des familles, et sont par conséquent à peu près inabordables. Il ne nous les fait connaître cependant que par de bien rapides notices; cette multiplicité d’informations, qui ne sont