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Ce n’est guère qu’en Provence que M. de Ribbe a retrouvé d’anciens livres de raison dans les familles. Il est probable cependant que d’autres parties de la France ont pratiqué cet usage. Nous le voyons du reste en vigueur dans plusieurs pays étrangers, en Allemagne et surtout en Italie. La Bibliothèque nationale, à Paris, possède un curieux ouvrage illustré qui nous conserve l’autobiographie de Mathieu Schwartz, bourgeois d’Augsbourg. Ce volume, que M. Michelant a décrit et commenté avec beaucoup de soin, offre en une suite de miniatures sur vélin les diverses circonstances de la vie de l’auteur; quelques lignes d’explication en allemand accompagnent chaque représentation figurée. La première image montre en pied le père et la mère, celle-ci enceinte : c’est ce qui s’appelle prendre son histoire dès le commencement. A la seconde page, on voit le petit Schwartz enveloppé d’un linceul et porté dans les bras de sa nourrice au cimetière, où le fossoyeur est déjà occupé de creuser la terre pour l’ensevelir. On le croit mort; mais lui, qui doit au lecteur cette belle autobiographie coloriée, remue un pied au dernier moment; on s’aperçoit qu’il vit encore, et on le reporte à sa mère. La troisième page le représente malade de la petite rougeole; sa petite sœur le soigne : il a près de lui ses jouets d’enfant. Viennent ensuite ses jeux, son éducation, ses exercices de jeune homme, ses travaux dans une grande maison de commerce, ses exercices militaires, etc., tout cela avec le commentaire qui permet de suivre cette carrière et l’histoire de sa famille. C’est une vivante étude de la vie bourgeoise à Augsbourg pendant le XVIe siècle.

Toutefois ce sont les Italiens surtout qui, avec leur esprit positif et pratique, nous ont laissé les plus remarquables livres de raison, se faisant en cela comme en bien d’autres choses les héritiers des anciens Romains, chez qui le père de famille tenait à jour ses livres de recettes et dépenses, tabulœ, rationaria, propres à servir de témoignages devant les tribunaux, comme on le voit dans le procès de Verres. Les libri commentarii, les stemmata, les laudationes mortuorum, ont servi à Rome de préludes aux livres des annalistes. Il en a été de même en Italie, et l’on comprend de quel intérêt peuvent devenir des registres de commerce ou de finances ainsi rédigés, quand les négocians ou les financiers s’appellent les Médicis. Nous avons ceux de Laurent le Magnifique; la famille de Guichardin[1] continuait, même étant devenue célèbre, l’administration de la maison de soieries, bottega di seta, dont la prospérité avait fondé sa fortune, et l’on trouvera dans le dixième volume des Œuvres inédites de l’historien, publiées à Florence, le livre de raison publié par lui en deux parties, la première qui contient, sous le titre de Ricordi di

  1. Voyez, dans Revue du 15 août 1861, l’étude que nous avons consacrée à Guichardin d’après ses écrits inédits.