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représente la plus ancienne et la plus respectable bourgeoisie de Provence. Établissant d’abord la généalogie de sa famille, qui se continue encore aujourd’hui, il remonte jusqu’en 1250. Pendant six siècles, les Deydier ont donné des magistrats municipaux à la ville de Toulon, des prêtres à l’église, des soldats à l’armée; jamais ils n’ont entièrement déserté l’agriculture. — M. de Ribbe connaît plusieurs livres de raison du XVIe siècle, celui-ci par exemple : « Livre où sont contenus les mémoyres des actes, affaires et négoces de moy Melchior Blanc, fils de M. Antoine Blanc, notaire royal de Saint-Zacharie, et de demoyselle Isoard, procureur au siège général de cette ville d’Aix, lequel livre j’ay escript de ma propre main et veulx y estre adjousté foy par mes successeurs. Aix, ce dix-neufvième février 1594. » Cet autre, de la même époque, a pour titre : « Livre des affères de moy et de monsieur Deffauris, faict le huict octobre 1588. » C’est le curieux spécimen d’une comptabilité toute rustique, rédigé par un paysan métayer nommé Ambroise Giraud, exploitant en 1588 le domaine d’un propriétaire nommé Deffauris, dans les Basses-Alpes. Il y marque son capital en têtes de labour et en bêtes à laine, les quantités de céréales semées, le chiffre des récoltes, les plantations, les frais de main-d’œuvre, le prix des journées d’ouvrier, etc.

Mais le plus grand nombre des livres de raison retrouvés par M. de Ribbe dans les archives particulières datent du XVIIe et du XVIIIe siècle. Les plus curieux sont ceux des familles de Garidel à Aix et de Sudre à Avignon. Le premier comprend l’histoire de cinq générations d’hommes distingués et de bons citoyens, docteurs, avocats, primiciers de l’université, conseillers au parlement, administrateurs élus de la ville d’Aix et de la Provence; le second, qui est rédigé en 1680, mais qui remonte aux premières années du XVIIe siècle, offre aussi une série de portraits et de leçons morales d’un grand intérêt. C’est un beau manuscrit in-folio, nous dit M. de Ribbe, presque un chef-d’œuvre de calligraphie. Le début fait bien juger de ce qu’étaient ces registres privés. « L’intérêt des familles, y est-il dit, veut qu’on tienne des livres de raison dans lesquels, après avoir escrit sa généalogie, ses alliances, sa naissance, ses biens et leur inventaire, on adjoute quelques mémoires en forme de maximes, qui, fondées sur l’honesteté, produisent aux héritiers des effets très profitables pour le spirituel et pour le temporel. — In nomine Domini. Ce 9 juin 1680, jour de la Pentecoste, après avoir demandé ce matin à Dieu que, si le peu de bien que je possède est mal acquis, ou s’il donne à moy ou à mes enfans matière à offenser sa souveraine bonté, je le supplie de m’en priver et eux aussi, je commence par ma généalogie, sur laquelle je passeray fort légèrement, ne me proposant que la pure vérité dans ce que j’ay à dire. »