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de faire dans les tableaux ne doivent pas être en convenance et en rapport direct avec le sujet, ou bien sont-ils ainsi laissés à votre fantaisie, sans discrétion aucune et sans raison?

« — Je fais les peintures avec toutes les considérations qui sont propres à mon esprit et selon qu’il les entend. »

Cette réponse évasive ne satisfait pas le père inquisiteur, qui n’oublie point son office; ici il ne s’agit pas d’art, il s’agit du respect dû à la religion.

« Ne savez-vous pas qu’en Allemagne et autres lieux infestés d’hérésie ils ont coutume, avec leurs peintures pleines de niaiseries, d’avilir et de tourner en ridicule les choses de la sainte église catholique, pour enseigner ainsi la fausse doctrine aux gens ignorans ou dépourvus de bon sens?

« — Je conviens que c’est mal, mais je reviens à dire ce que j’ai dit, que c’est un devoir pour moi de suivre les exemples que m’ont donnés mes maîtres. »

Et le Véronèse cite Michel-Ange et la chapelle Sixtine, d’où la fantaisie et les allusions pleines d’anachronismes ne sont point absentes. L’accusation n’admet point que Michel-Ange ait manqué aux lois de la décence comme l’a fait le peintre de la Cène, qui finit par trouver qu’on a bien de l’imagination au saint-office, et confesse humblement qu’il a eu tort, mais que ni l’hérésie ni l’irrévérence n’ont rien à voir dans son fait.

« Non, très illustres seigneurs, je ne prétends point prouver que mon tableau soit décent, mais j’avais pensé ne point mal faire, je n’avais pas pris tant de choses en considération, et j’avais été loin d’imaginer un si grand désordre. »

Le Véronèse fut néanmoins condamné à corriger et amender son tableau dans l’espace de trois mois à dater du Jour de la réprimande. Le changement fut fait, et nous pouvons nous en convaincre, car le procès-verbal donne la description exacte du tableau et sa dimension (7 pieds sur 39 environ). Cette toile est au Louvre; elle a été offerte à Louis XIV par la république de Venise. Une figure de la Madeleine a été substituée au grand lévrier que l’artiste a l’habitude de placer dans ses tableaux. Le peintre souscrit au changement; mais il n’admet pas que la Madeleine « puisse faire bien ici, » et cela pour beaucoup de raisons qu’il donnera aussitôt qu’il trouvera occasion de les dire.

Toute la théorie de Véronèse est là, « faire ce qui fait bien, » sans aucune préoccupation du sujet et de la convenance. Ce n’est assurément pas un mérite chez le peintre ; pourtant celui-ci est si primesautier, si fantaisiste et si personnel, qu’il faut l’accepter comme il est. A Masère, il n’est point exempt de ces bizarreries dans ses