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sinateurs et aux graveurs de vignettes du XVIIIe siècle, ils n’ont vu dans les faits et dans les types qui les entouraient que les thèmes d’anecdotes dont la valeur dépendrait surtout des agrémens et de la facilité du récit. Les plus ingénieux d’entre eux, Cochin, Gabriel de Saint-Aubin, Moreau, ne songeaient nullement, en reproduisant les fêtes de la cour ou les scènes de la vie bourgeoise, à sortir de ce rôle de narrateurs, à faire, si modestement que ce fût, acte de philosophes. Laissant à Greuze et à Diderot la prétention de « donner des mœurs » à la peinture, ils entendaient tout simplement se servir du crayon, de la pointe ou du burin pour amuser les gens, comme un peu plus tard Debucourt, Carle Vernet et plusieurs autres ne devaient transcrire de la réalité contemporaine que ce qui rappellerait aux yeux quelque particularité de costume ou les égaierait par quelque image comique.

Survint la découverte du procédé lithographique, et, avec les rapides progrès qu’elle suscita, la coutume pour les dessinateurs de rechercher quelque chose de plus que l’imitation textuelle des modes ou des ridicules. Rien de plus naturel d’ailleurs qu’un pareil mouvement, rien de plus conforme à la fois aux ressources que comporte le moyen et aux inclinations du génie national. En vertu même de sa simplicité, ou, si l’on veut, de son insuffisance relative, la lithographie s’adresse à l’intelligence autant pour le moins qu’aux regards du spectateur; elle laisse à celui-ci le soin d’achever par la pensée ce que le crayon n’a forcément exprimé qu’à demi. Soit qu’elle reproduise sans commentaire un fait ou un trait de mœurs, soit qu’elle en esquisse l’image au-dessus d’une légende explicative, elle réussit à contenter cet esprit littéraire que nous apportons généralement en France dans l’examen des œuvres de l’art ; elle l’intéresse du moins assez directement pour avoir raison d’autres exigences de l’imagination et du goût. De là le succès populaire qu’obtinrent les croquis tracés sur la pierre par Horace Vernet, par Charlet, en attendant les ouvrages plus savamment étudiés qui devaient honorer le nom de Raffet. Toutefois, depuis l’époque où Horace Vernet et Charlet avaient fait paraître leurs premiers albums jusqu’au jour où Raffet était devenu un maître à son tour, la représentation par la lithographie des scènes militaires avait à peu près seule défrayé la curiosité publique, et fixé en apparence les limites comme la tradition à venir de l’art nouveau. Quelques dessinateurs, il est vrai, — sans parler des caricaturistes, — avaient essayé d’aborder des sujets d’un autre ordre, et de retracer quelque chose de ce qui se passe sous le toit des mansardes ou dans les salons. L’esprit, mais un esprit assez superficiel, enjolivait ces petits tableaux de mœurs où le crayon de son côté ne trouvait guère qu’un prétexte à des indications presque arbitraires, à des lazzis plus ou moins adroits.