Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mode assez singulière de l’époque, mystificateur de profession, à peine cet oncle, nommé Thiemet, put-il avoir une certaine influence sur les goûts de l’enfant et sur le développement de ses facultés dans le sens de l’observation pittoresque ou morale. Il ne paraît pas d’ailleurs que Gavarni ait montré de bonne heure et bien clairement les dispositions spéciales de son intelligence; il ne paraît pas qu’il ait tout d’abord reconnu lui-même ses véritables aptitudes. Contrairement à la plupart des artistes dont le nom est promis à l’avenir, on le voit consumer les premières années de sa jeunesse dans des incertitudes sur la voie où il doit s’engager, dans des essais de nature toute différente, depuis l’étude de la mécanique au Conservatoire des arts et métiers, à Paris, jusqu’à un travail de gravure à Bordeaux pour la publication de planches représentant le pont de la ville, depuis ses occupations d’employé du cadastre à Tarbes et dans les Pyrénées jusqu’aux efforts qu’il tente pour faire en vers et en prose acte de littérateur.

Sans doute au milieu de ces entreprises diverses Gavarni trouve le temps de dessiner quelques-uns des personnages qu’il rencontre ou des sites que lui offre le pays où il vit. Il songe même par momens à se donner tout entier à l’art, et il lui arrivera d’écrire un jour, après une excursion aux environs de Tarbes : « Je ne suis plus ce jeune homme capricieux, amateur de tant de branches différentes, j’ai un but déterminé, et immuable. C’en est fait, je serai peintre; » mais, quoi qu’il en dise, son parti n’est pas irrévocablement pris encore, et il faut bien ajouter que la très médiocre habileté de son crayon à cette époque, le caractère équivoque des intentions et des formes que sa main cherchait à exprimer, ne devaient pas plus le rassurer sur ses succès futurs qu’inspirer à autrui une grande confiance dans les ressources dont il lui appartiendrait de disposer. Ce n’est qu’après son retour à Paris, c’est-à-dire lorsqu’il a dépassé déjà l’âge de vingt-cinq ans, que Gavarni commence à se rendre un compte plus exact de ce qu’il peut comme de ce qu’il veut, et que, renonçant aux chétives contrefaçons des dessins de genre ou de paysage fabriqués par les fournisseurs ordinaires d’albums, il entre enfin dans l’étude sincère de la réalité. Encore ses premières tentatives ne laissent-elles pas de se ressentir beaucoup des habitudes conventionnelles dont il croyait avoir secoué le joug. Gavarni a beau prendre par écrit vis-à-vis de lui-même les engagemens les plus précis, il a beau reconnaître que dans l’ordre des travaux auxquels il se livre la bonne foi est une qualité aussi nécessaire que nouvelle, et que, pour répéter ses propres paroles, « il reste à être vrai, » — la vérité telle qu’il la rend a quelque chose de bien exigu encore quant aux formes, de médiocrement neuf, d’assez banal même quant au fond. Peu à peu cependant l’originalité du penseur et de