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Les choses maintenant nous sont montrées au grand jour. La mort de Gavarni, en le livrant tout entier à ses historiens, a mis fin aux scrupules et aux réticences. Ceux-là même qui, comme MM. de Goncourt, ont le plus respectueusement approché, le plus fidèlement aimé ce rare artiste, croient s’acquitter d’un devoir envers sa mémoire en ne taisant rien de ce qu’ils ont vu ou su, en nous transmettant jusqu’au dernier tous les renseignemens biographiques qu’ils ont recueillis, tous les souvenirs, recommandables ou non, qui se rattachent au passage sur cette terre de l’homme dont ils consolaient naguère la vieillesse, et que l’un d’eux, M. Jules de Goncourt, devait suivre de près dans le tombeau.

Pourtant, tout incontestables qu’ils sont, les mérites des œuvres laissées par Gavarni rachètent-ils si bien les faiblesses de sa vie que celles-ci puissent impunément être racontées une à une, énumérées avec une sorte de sollicitude, on dirait presque avec un soin pieux ? Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée. Nous ne reprochons point aux auteurs de cette biographie la volonté qu’ils ont eue de la faire complète, quelque pénible déconvenue d’ailleurs qu’en puissent causer les détails à ceux qui, comme nous, auraient le plus souhaité que le caractère chez Gavarni eût été à la hauteur du talent. Puisqu’il s’agissait ici d’un personnage dont le nom et les ouvrages appartiennent au public, il est clair que le public avait le droit d’exiger qu’on l’instruisît jusqu’au bout, et que les deux écrivains de leur côté avaient avant tout le devoir d’être véridiques. Nous regrettons seulement qu’en accomplissant si consciencieusement leur tâche de rapporteurs ils n’aient pas cru nécessaire de s’imposer plus souvent quelque chose de la fonction du juge, et qu’ils aient couru le risque par là de paraître trop systématiquement sacrifier au strict exposé des faits la moralité que ces faits impliquent. Voilà pourquoi, après ce travail définitif à certains égards, il semble permis, utile même, de revenir sur ce qu’il contient et de distinguer dans la vie de Gavarni entre les actes qui l’ont honorée et ceux qui en ont embarrassé le cours au point quelquefois d’en compromettre la dignité.

Le moment où nous sommes n’est-il pas du reste particulièrement favorable à ce double examen ? Tandis que MM. de Goncourt poursuivaient et menaient à fin l’étude qu’ils avaient entreprise, un autre ami de Gavarni s’appliquait, avec l’aide d’un des plus fervens admirateurs du maître, à recueillir jusqu’aux moindres documens sur ses travaux successifs. L’ouvrage qui vient d’être publié n’est pas seulement un catalogue dressé avec une scrupuleuse exactitude de toutes les lithographies, — et il en existe près de trois mille, — dues à un infatigable crayon ; on y trouve des indications précieuses sur la destination primitive de ces pièces, sur celle que leur attri-