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pas moins tranchés, bien qu’assurément sa destinée dans l’histoire ait été moins brillante.

On ne pouvait soupçonner, il y a trente ans, l’étendue et la solidité qu’on arriverait à donner à cette individualité ethnographique. La race berbère a maintenant non-seulement un droit de cité incontestable dans le monde de l’anthropologie; elle est l’objet d’une science. Autour de cette race indigène du nord de l’Afrique s’est créé en effet un ensemble d’études analogues à celles dont le monde sémitique et le monde indo-européen fournissent la matière. Sans doute l’intérêt n’est pas le même; les instrumens d’étude sont moins nombreux; la race berbère tient dans le monde une place de quatrième ou cinquième ordre, si on compare le rôle qu’elle a joué à celui des Hébreux, des Phéniciens, des Arabes, des Grecs, des Romains, des Celtes, des Germains; mais, pour n’avoir qu’un rang assez humble dans l’échelle du génie, la race berbère n’en est pas moins importante dans l’ensemble de l’humanité. Son étonnante ténacité est un des phénomènes de l’histoire les plus dignes d’être étudiés. A l’époque romaine d’ailleurs, le monde berbère a introduit quelques élémens essentiels dans le mouvement général de la civilisation par la part qu’il a eue à la formation du christianisme latin.

Au point de vue des sciences historiques[1], cinq choses constituent l’apanage essentiel d’une race, et donnent droit de parler d’elle comme d’une individualité dans l’espèce humaine. Ces cinq documens qui prouvent qu’une race vit encore de son passé sont une langue à part, une littérature empreinte d’une physionomie particulière, une religion, une histoire, une législation. On peut y joindre dans certains cas une écriture propre; cette condition n’est pourtant pas de rigueur, car de très grandes races, telles que la race indo-européenne, n’ont jamais eu d’alphabet à elles, et ont emprunté l’écriture des autres races. On en peut dire autant de l’art, l’art s’empruntant avec plus de facilité que la langue, la religion et la législation. Si nous demandons à la race berbère quels sont de ces titres de noblesse ceux dont elle peut faire la preuve, nous la trouverons à quelques égards assez pauvre; par d’autres côtés au contraire, elle pourra le disputer aux races les plus privilégiées. La race berbère en effet possède ce que n’ont pas toujours les plus illustres races, une écriture qui n’appartient qu’à elle, écriture singulière, peu employée, connue presque uniquement des femmes, mais dont l’antiquité nous est attestée par le monument bilingue (carthaginois et berbère) de Tugga, et par les inscriptions bilingues, beaucoup plus

  1. Nous laissons à d’autres le soin de parler des caractères physiologiques, anthropologiques, qui, en ce qui concerne la race berbère, ne sont pas moins nettement accusés que les caractères linguistiques.