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on décidait qu’un plénipotentiaire serait envoyé à Londres, et ce plénipotentiaire devait d’abord être M. Jules Favre. Évidemment la France était intéressée à ne point déserter une réunion européenne où sa seule présence devait rappeler qu’il y avait en ce moment une question plus grave, plus brûlante que la question de la Mer-Noire. On ne lui promettait rien, il est vrai, et même il est probable qu’au premier mot qui aurait été prononcé, le représentant de la Prusse aurait arrêté toute délibération de la conférence. Il y avait du moins une tentative à faire, une occasion à saisir. Seulement, pour aller à Londres, il fallait commencer par sortir de Paris. Le moyen eût été tout simple sans doute, c’eût été un armistice, cet armistice que le pape Pie IX lui-même demandait au roi de Prusse, qu’on proposait encore une fois à demi, timidement, à Versailles. M. de Bismarck se refusait à tout. M. Jules Favre, chargé d’aller représenter la France à Londres, ne pouvait cependant partir en ballon. Alors le cabinet anglais se chargeait de demander à Versailles un sauf-conduit pour le plénipotentiaire français, et ici les dates prennent une singulière importance.

C’est le 30 décembre qu’arrivait à Versailles une lettre par laquelle lord Granville prévenait M. Jules Favre des arrangemens pris pour qu’il pût se rendre à la conférence, dont la réunion restait fixée aux premiers jours de 1871; ce n’est que le 10 janvier au soir que cette lettre parvenait à Paris par l’intermédiaire du ministre des États-Unis, M. Washbume. M. de Bismarck avait commencé par retenir la dépêche de lord Granville, prétextant de quelques mésaventures de parlementaires pour couper momentanément toute communication ! Par une fatalité de plus, pendant ces quelques jours, on n’avait rien reçu de Bordeaux, on n’était au courant de rien. Dernier contre-temps : lorsque M. Jules Favre apprenait qu’il y avait pour lui un sauf-conduit à Versailles et lorsqu’il le réclamait, M. de Bismarck faisait des façons, il répondait évasivement, il prétendait qu’il ne pouvait y avoir de sauf-conduit constatant le caractère politique de M. Jules Favre, puisque le gouvernement de la défense nationale n’était pas reconnu. Quinze jours s’étaient ainsi passés, et dans l’intervalle le bombardement s’était développé sur le pourtour de Paris, il avait pris une intensité meurtrière, de sorte que M. Jules Favre se trouvait entre l’appel qui lui était adressé de Londres et le sentiment ému des devoirs qui le retenaient à Paris. Chose bien plus étrange, M. de Bismarck lui-même avec un goût douteux se permettait, — c’était lui qui employait ce mot, — de demander à notre ministre des affaires étrangères « s’il serait à conseiller qu’il quittât maintenant Paris et le poste de membre du gouvernement pour prendre part en personne à une conférence sur la Mer-Noire à un moment où il y avait en jeu des intérêts plus