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secret dans l’intimité. Il attendait. Qu’attendait-il? Il ne comptait ni sur l’arrivée des armées de secours, ni sur la possibilité pour l’armée de Paris de percer les lignes prussiennes, il comptait sur une intervention miraculeuse de sainte Geneviève! — Mais, lui disait-on avec une bonne humeur spirituelle tempérée de quelque tristesse, le roi Guillaume, lui aussi, a son saint, il faut alors mettre les deux saints en présence. — Catholique, Breton et soldat, — le général Trochu se servait un jour de ces mots pour se caractériser lui-même. La dévotion à sainte Geneviève était d’un bon catholique, l’opiniâtreté était du Breton, le soldat avait certes beaucoup fait, et dans ces tragiques extrémités il restait encore le plus embarrassé.

On ne rendait pas du reste l’œuvre facile au général Trochu, et ce serait une erreur de croire que tous les embarras lui venaient d’un seul camp. Il y avait des officiers supérieurs de mobiles provinciaux très braves, très dévoués, mais s’exagérant à eux-mêmes leur importance et médiocres juges de la situation, qui ne cachaient nullement leur désir de la paix, qui ne cessaient de déclarer la défense impossible, ou qui à l’heure critique du bombardement venaient demander naïvement au gouverneur de Paris de les envoyer à Belleville pour prendre leur revanche, disaient-ils, de l’inaction où ils avaient été laissés au 31 octobre. C’était peut-être assez mal choisir son moment. D’un autre côté, au sein même du gouvernement, il y avait tout un travail qui n’était, à vrai dire, qu’une des formes de la désorganisation. On parlait avec une amertume à peine déguisée de la mollesse, de l’indécision, même de l’incapacité de la direction militaire. Des membres du gouvernement, qui se croyaient sans doute fort habiles, se faisaient dans le conseil les organes des impatiences, des préjugés et des injustices de l’opinion. Sans avoir un grand faible pour la dictature de Tours, ils subissaient plus ou moins l’influence excitante de M. Gambetta, qui voyait tout, la politique et la guerre, avec son esprit de parti et son imagination, qui en ce moment même disait à la province qu’il y avait eu un carnage de sept mille Prussiens à Avron, que Paris « régénéré, antique, » tiendrait jusqu’à la fin de février, — et qui écrivait à ses amis de l’Hôtel de Ville que les Allemands étaient à bout, qu’ils avaient perdu près d’un demi-million d’hommes depuis leur entrée en France, que la défense de Paris devrait être plus audacieuse et plus active. Toujours est-il que depuis un mois surtout on était presqu’à l’état de conspiration vis-à-vis du gouverneur. En son absence, pendant qu’il était encore aux avant-postes, on discutait dans le conseil sur l’opportunité de lui enlever son commandement ou tout au moins de le mettre en tutelle.

Ce sont les procès-verbaux des délibérations du gouvernement