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ouvrages, et qui nous paraît devenir de plus en plus l’idée fixe de sa vieillesse.

« Qui travaillera pour nous ? se demandent les planteurs dans cet état nouveau, où il faudrait dessécher des marais, abattre des forêts, défricher des plaines entières couvertes de palmiers nains, sous la chaleur torride d’un soleil tropical.

« — Des Chinois ! disent ceux-ci.

« — Des Suédois, disent ceux-là ou encore des Allemands.

« Considérons les faits : le thermomètre, ces jours derniers, a dépassé 30 degrés. Aucun blanc n’ose rester dans les champs après dix heures ; le sable incandescent semble pouvoir cuire des œufs. Cependant les laboureurs noirs s’acquittent de leur tâche plus activement, plus gaîment peut-être que dans les mois tempérés. Le soleil réveille toute leur vigueur, toute leur jovialité ; à midi, ils s’installent non pas à l’ombre, mais sous ses rayons directs pour prendre leur repas et faire ensuite la sieste.

«… Nous nous rappelons que, par une journée brûlante, notre bateau à vapeur s’arrêta devant Fernandina. Vu l’état de la marée, le quai dominait le bateau de huit à dix pieds, et la planche du débarcadère formait une pente inclinée au moyen de laquelle des montagnes de marchandises de toute nature devaient être frétées. Une bande de nègres, tous de haute taille et vigoureux, se faisaient un amusement de cette tâche, sous laquelle aurait succombé à pareille heure n’importe quel blanc. Ils riaient et poussaient des cris d’allégresse, tandis que l’un après l’autre recevait sur ses épaules des sacs de coton ou de lourdes caisses pour les porter à bord, en courant sur la planche rapide. Enfin certain colosse trapu, ramassé, avec les membres et les muscles d’un cheval de haquet, se plaça devant un large camion où ses camarades empilèrent les sacs de coton à une hauteur énorme ; retenant ce chargement avec une force prodigieuse, il descendit à pas comptés jusqu’à ce qu’atteignant le bas de la passerelle il s’élança soudain en avant jusqu’au milieu du bateau.

« Cette prouesse fut répétée maintes fois, sans effort apparent et avec de gros rires. Jamais plus rude travail ne fut fait de meilleure humeur.

«… Les nègres sont les laboureurs naturels des régions tropicales. Extraordinairement forts, ils échappent à peu près aux fièvres qui déciment la race blanche, ils prospèrent, se multiplient là où nous ne saurions vivre bien portans… Les hommes du nord qui arrivent avec les habitudes de travail de leur pays prétendent cependant que le nègre ne vaut rien comme laboureur. Sans doute certaines influences climatériques et constitutionnelles, jointes aux influences si récentes encore de l’esclavage, rendent les habitudes des cultivateurs du sud très différentes de celles qui ont cours au nord, où l’on est obligé, par la brièveté