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sible. Le 24 mai, en prenant pour programme le maintien des institutions existantes, en conférant le pouvoir au maréchal de Mac-Mahon dans les conditions où M. Thiers l’avait exercé, ne changeait rien ; seulement il rappelait que l’avenir était réservé, et par cela même il laissait la porte ouverte à toutes les espérances comme à toutes les combinaisons.

C’est alors que M. le comte de Paris, n’écoutant que son inspiration, écartant tous les intermédiaires et les négociateurs, non toutefois sans s’être entendu avec les autres princes d’Orléans, s’est rendu à Frohsdorf, où il a été reçu avec un affectueux empressement, où il a pris place aussitôt dans l’intimité de la maison. Le lendemain, M. le comte de Chambord est allé à son tour voir M. le comte de Paris à Vienne. Dès lors tout a été accompli. On n’a pas besoin de chercher le secret de cette entrevue, il s’échappe de toute une situation, il éclate dans cette démarche même, il est dans les paroles par lesquelles M. le comte de Paris aurait inauguré et caractérisé lui-même sa visite. M. le comte de Paris n’a point parlé pour lui seul, il a parlé pour tous les siens ; il aurait dit à M. le comte de Chambord, en l’abordant, qu’il venait non-seulement saluer en lui le chef de la maison de Bourbon, mais reconnaître dans sa personne le principe monarchique dont il était le représentant, et lui donner en même temps l’assurance qu’il ne rencontrerait aucun compétiteur parmi les membres de sa famille. Ainsi ce qui a semblé si longtemps impossible a été réalisé en un instant, et d’une façon beaucoup plus complète, beaucoup plus étendue qu’on ne le supposait. Ce n’est plus même ce qu’on a jusqu’ici appelé la fusion, c’est-à-dire un rapprochement plus ou moins diplomatique, résultant plus ou moins de transactions convenues, de concessions mutuelles ; c’est la reconstitution pure et simple, sans aucune espèce de condition, de la maison royale de France dans son unité ; 1830 est effacé. Il n’y a plus deux dynasties, il n’y a qu’une dynastie, une monarchie devant laquelle disparaissent tous les souvenirs des divisions du passé. M. le comte de Paris n’est plus l’héritier du duc d’Orléans, son père, et du roi Louis-Philippe, son aïeul ; il est, si l’on veut, le dauphin, l’héritier présomptif de la royauté traditionnelle. La visite à Frohsdorf clôt une parenthèse de l’histoire ; elle supprime toutes ces dénominations de légitimistes, d’orléanistes, sous lesquelles se désignaient les partis, et elle ne laisse place, pour peu qu’on le veuille, qu’à des royalistes réconciliés sans doute comme leurs princes.

On ne peut assurément se dissimuler l’intérêt et l’importance d’un événement comme celui qui vient de s’accomplir dans un château de l’Autriche, resté depuis plus de quarante ans l’asile d’un prince à qui semblait réservée la couronne du roi Charles X et qui n’a connu que l’exil, qui dans le cours de près d’un demi-siècle n’a passé que trois jours en France, à Chambord, il y a deux ans. On pourrait dire que