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enlever au projet de réforme électorale son caractère de généralité. Les députés polonais déclarèrent alors qu’ils considéraient le projet comme attentatoire aux privilèges des diètes, et qu’ils ne prendraient aucune part aux débats. Le gouvernement fit les plus grands efforts pour les décider à se rendre aux séances du Reichsrath, ne fût-ce qu’à titre de comparses muets, et il leur offrit des concessions étendues en échange de cet acte de complaisance ; ce fut en vain. Bien que prévue, l’attitude hostile de la députation galicienne ne laissa pas de provoquer une vive irritation. On accusa les Polonais d’opposition stérile, d’hostilité irréconciliable, de parti-pris contre la monarchie des Habsbourg. Les députés galiciens ne tinrent pas compte de ces critiques, et, quand la réforme électorale fut votée le 6 mars dernier, ils se retirèrent de la salle des séances au nombre de 40 environ.

Le parti centraliste se trouva ainsi le seul maître du terrain, et la loi fut adoptée par 122 voix contre 2. Elle fut votée quelques jours plus tard à la chambre des seigneurs par 88 voix contre 17, et devint définitive après avoir reçu la sanction impériale. Le président de la chambre des députés enjoignit alors aux Galiciens de venir reprendre leurs sièges dans un délai de quinze jours ou de justifier de leur absence. Ceux-ci, n’ayant rien répondu, ont été déclarés déchus de leur mandat, et il sera procédé à leur remplacement d’après le système que la nouvelle loi organise. Dans la séance de clôture du Reichsrath, l’empereur François-Joseph a exprimé le regret que les démarches faites pour accorder à la Galicie l’extension d’autonomie compatible avec l’unité et la puissance de l’état n’aient pas abouti au but désiré ; il a cependant ajouté que la nomination d’un Galicien dans les conseils de la couronne serait considérée comme une preuve de la sollicitude impériale pour les intérêts de cette province.

Les Polonais de Galicie seraient peut-être mal inspirés, s’ils donnaient à leur opposition un caractère trop accentué ; leur province ne doit pas oublier en effet qu’elle jouit déjà d’une somme d’autonomie considérable. Elle a un gouvernement polonais ; l’immense majorité de ses fonctionnaires sont des enfans de la Galicie ; ses universités, ses écoles, sont nationales ; la langue officielle de l’administration et de la justice est le polonais ; l’élément polonais est représenté dans les administrations centrales ; enfin les affaires locales sont traitées en dernier ressort dans le pays même. Ce sont là des concessions très importantes, et il y aurait ingratitude pour la Galicie à n’en pas reconnaître la valeur. Placée entre trois grands empires, elle est tenue à une attitude particulièrement prudente ; son intérêt est de ne pas rêver une décentralisation exagérée, qui susciterait des embarras diplomatiques au cabinet de Vienne, et qui ne serait pas compatible avec les conditions indispensables à l’unité et à l’intégrité de la monarchie austro-hongroise.