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héros de la Mecque une manière d’aventurier, de thaumaturge, « un Tartuffe ayant les armes à la main ! » Il oublie, tant sa haine de toute religion positive l’aveugle, que ce qui domine en pareil cas toujours, c’est l’enthousiasme, et que la fourberie n’est l’attribut que des esprits subalternes. Son personnage a des idées, mais il parle trop, et Napoléon, qui n’aimait point à entendre les tyrans se raconter sur la scène, a pu dire avec raison qu’un tel homme n’eût jamais conquis le monde.

Voltaire n’emploie l’histoire qu’à des fins particulières. Cette forme, appauvrie encore entre ses mains, de la tragédie classique lui sert à batailler in tyrannos. C’est un muezzin sur son minaret et qui d’en haut regarde se lever l’aurore, non pas dévotement, pour convoquer les peuples à la prière, mais pour leur annoncer le jour nouveau. Comparez ses conclusions à celles du passé ; dans Cinna, c’est Auguste qui finit par avoir raison. Non content d’amnistier le sanglant despote, Corneille ose nous parler de ses vertus, de sa clémence ! Ainsi le veut la loi d’un temps où la monarchie semble inviolable, où tout se meut dans son orbite. « Je suis maître de l’univers, » peut dire Auguste, et c’est assez pour qu’on s’incline. Il a triomphé des factions, comme Louis XIV a vaincu la fronde. Auguste est le maître, toucher à lui serait insulter à la loi qui gouverne le monde depuis des siècles, — car, ne l’oublions pas, tous les monarques sont solidaires à travers les âges. J’ai connu jadis un prince en Allemagne qui, parlant du fils de Livie, l’appelait avec respect « sa majesté l’empereur Tibère. » Voltaire a d’autres principes ; les tyrans font triste figure dans sa tragédie, ils y sont mal venus, mal menés, la liberté, la justice prédominent. Polyphonte meurt sous le couteau d’Égysthe ; le grand-prêtre Oroes, au dénoûment de Sémiramis, prononce les plus anarchiques objurgations. Je passe sous silence le discours d’Idame dans l’Orphelin de la Chine ; mais le vers de Tancrède, qu’en dirons-nous ? Qu’il manque de couleur locale assurément. Je doute aussi que les chevaliers de Syracuse aient jamais tenu pareil langage, et me contente d’en faire honneur à la verve et à l’audace du publiciste.

Voltaire aime à débiter par la bouche de ses personnages les sentences de son philosophisme libéral. Souvent même aux traits généraux, se mêlent des maximes directement applicables à sa propre conduite. Ainsi lorsque, jouant le rôle de Cicéron dans sa pièce de Catilina, il s’écriait :

Romains, j’aime la gloire et ne veux point m’en taire,


son plus grand plaisir était de voir son public d’amateurs lui prouver par un murmure favorable que l’allusion ne passait point