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SHAKSPEARE ET VOLTAIRE

JULES CESAR AU THEATRE


I

Un homme de beaucoup d’esprit et de grande information littéraire, diplomate qui fut académicien toute sa vie, et de l’Académie à son heure, le comte Alexis de Saint-Priest, s’était donné pour tâche d’écrire l’histoire de Voltaire. Ce travail ne l’effrayait pas, il l’envisageait au contraire avec un certain orgueil et s’y livrait à travers tout, colligeant ses matériaux, révisant les textes, compilant au besoin et couvrant de notes, de pensées et d’anecdotes à mesure qu’elles lui venaient, les pages blanches intercalées dans les soixante volumes d’un exemplaire à part qu’il avait fait dresser pour cet objet et qui certes aurait sa valeur et comme document et comme rareté bibliographique. « Histoire de Voltaire ! s’écriait-il quand nous le surprenions dans le secret de ses études. — Vous écrirez la biographie de Pascal, la biographie de Molière, de Racine, même de Bossuet : mais Voltaire est en France le seul écrivain dont on puisse imprimer l’histoire ! » Personne assurément mieux que l’auteur de la Chute des jésuites et du Partage de la Pologne n’eut qualité pour mener à bien un tel ouvrage. Sa connaissance si complète du XVIIIe siècle qu’il habitait en quelque sorte au milieu du nôtre, la somme énorme d’observations spéciales, de curiosités qu’avaient amassée dans sa mémoire ses lectures, ses conversations, ses voyages, tout l’y portait. Ajoutez son tour d’imagination et de style, ce goût particulier pour son héros, dont il se sentait un peu le fils, en un mot cette affinité qui vous pousse instinctivement vers un aïeul intellectuel, et vous force à lui rendre en hommages publics ce quelque chose qu’il nous a transmis de son esprit.