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qu’il l’est en réalité de dompter les énergies aveugles par le seul ascendant d’une volonté résolue et clairvoyante, il y aurait encore des raisons pour faire croire aux hommes qu’ils sont maîtres de se modifier, de s’amender, qu’ils ne sont pas les jouets d’un inflexible destin, et qu’il ne leur est pas permis de céder sans résistance et sans remords à leurs mauvais instincts. Croyons à la puissance de l’hérédité en tant qu’elle peut devenir un moyen d’amélioration et de libre perfectionnement. N’y croyons plus au cas où l’on prétendrait qu’elle exerce un despotisme tellement absolu qu’il y aurait de la témérité à refuser de le subir. L’éducation ne doit pas seulement se proposer de perfectionner les hommes, elle doit entreprendre aussi de leur inspirer le désir du perfectionnement en leur démontrant qu’ils sont perfectibles. Associée à la culture judicieuse de l’hérédité bienfaisante, l’éducation triomphe ainsi de l’hérédité malfaisante et renouvelle les générations.

Il ne faudrait pourtant pas accorder à l’éducation une influence exagérée, ni prétendre qu’elle puisse à elle seule provoquer des supériorités très éminentes. Elle n’a qu’une influence limitée, comme l’hérédité elle-même. Le génie échappe à l’une comme à l’autre. Le génie, c’est-à-dire l’expression la plus parfaite et la plus complète de l’esprit considéré comme force librement créatrice, ah ! voilà tout ensemble l’éternelle consolation et l’éternel désespoir de notre nature ! Il console, puisqu’il est la source de toute lumière et de tout ravissement ; il désespère, justement parce qu’il est rare, exceptionnel, capricieux, étrange, dédaigneux de la familiarité de ceux qui voudraient connaître son secret mystérieux, obstinément rebelle aux efforts de ceux qui entreprennent de le soumettre, bref tout à fait en dehors de la logique et de la discipline du commun des hommes. C’est un arbre gigantesque dont les fruits sont l’aliment des siècles, et qui croit dans des conditions telles qu’on n’en saurait pas plus prévoir ou provoquer la genèse que régler l’existence ou calculer la fécondité. Il faut attendre humblement et patiemment qu’il plaise à la Providence de nous en procurer le bénéfice. Heureusement les hommes de génie ne sont pas indispensables à l’humanité. Plus la moyenne générale d’une nation s’élève, moins ils deviennent nécessaires. Or la moyenne générale s’élève irrésistiblement quand la volonté et l’initiative de tous les citoyens n’y ont plus qu’un sincère désir : celui de se perfectionner. La culture héréditaire, par sélection impitoyable des causes de dégénérescence au profit des causes d’amélioration, peut être recommandée avec confiance aux nations jalouses de conquérir ainsi le premier rang dans le monde.


FERNAND PAPILLON.