Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/910

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la même superstition tyrannique s’imposent indistinctement à tous, Rien n’y a de force et de crédit que par la tradition, et la tradition n’y est que le souvenir révéré d’une volonté exprimée jadis par les mystérieuses puissances. Quand les Anglais veulent associer les Hindous aux travaux de voirie et de salubrité qu’ils exécutent dans l’Inde, ils sont obligés encore aujourd’hui d’assurer que l’utilité de ces travaux a été comprise par les brahmanes des époques les plus reculées, tant cette vieille race a de peine à s’imaginer qu’une règle puisse être obligatoire sans être traditionnelle.

Quoi qu’il en soit, et quelque part que l’hérédité puisse avoir ici, il est certain que cette part n’est pas grande, puisque cette singulière homogénéité des races primitives, au lieu de se conserver et de se fortifier, fait place tôt ou tard à la diversité. Chaque peuple est envahi à son tour par une force aussi capable d’agir dans un sens opposé à celui des influences héréditaires que de secouer le joug de fer des coutumes originelles. C’est en Grèce, il y a près de trois mille ans, que le premier essor de cette force détermina ce que Goethe appelle « la libération de l’humanité. » Depuis lors les croisemens des races distinctes, les besoins nouveaux et les inventions variées qu’ils ont perpétuellement suggérées, les idées que l’homme a conçues, grâce à un contact de plus en plus intime avec la nature, ont substitué à la simplicité primitive une variabilité multiple et irrésistible dont l’état du monde est la preuve évidente.


II

Ceci n’est qu’une réfutation historique. Une réfutation plus scientifique et plus directe sera aussi plus décisive et plus instructive. Après avoir établi que l’hérédité n’a pas exercé une influence exclusive et continue, il faut dire les causes qui agissent en même temps qu’elle et contrairement à elle. Il faut montrer l’activité permanente et puissante de ces forces qui tendent, comme nous l’avons dit, à modifier, transformer, compliquer les pensées, les sentimens, les passions, les mœurs, les coutumes.

L’éducation a pour objet spécial de transmettre à l’enfant la. somme des habitudes auxquelles il devra se conformer dans la pratique de la vie et la somme des connaissances qui lui seront indispensables pour l’exercice de sa profession ; mais il faut qu’elle commence par développer en lui les facultés qui lui permettront de s’approprier ces habitudes et ces connaissances. Elle apprend à l’enfant à parler, à se mouvoir, à regarder, à sentir, à entendre, à comprendre, à juger, à aimer. Or l’influence de l’éducation, opposée à celle de l’hérédité, est si grande que c’est à la première seule