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membres de cette famille se furent dispersés, ils convinrent de se réunir une fois chaque année à jour fixe, afin de conserver entre eux une sorte de lien patriarcal. Cet usage se perpétua jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, et plusieurs fois on vit jusqu’à cent vingt personnes, hommes, femmes et enfans, du nom de Bach. Dans cette famille, on compte vingt-neuf musiciens éminens et vingt-huit d’ordre inférieur. Le père de Mozart était second maître de chapelle du prince-évêque de Salzbourg. Celui de Beethoven était ténor de la chapelle de l’électeur de Cologne ; son grand-père avait été chanteur, puis maître de la même chapelle. Les parens de Rossini faisaient de la musique dans les foires.

On constate une intervention à peu près aussi efficace et suivie de l’hérédité dans la transmission des passions et des sentimens d’un tout autre ordre qui déterminent les penchans vicieux. Le goût de l’alcool, les habitudes de débauche, la passion du jeu, acquièrent chez certains individus un empire qui ne s’explique que par une fatale prédisposition organique reçue des ancêtres. « Une dame avec laquelle j’ai été lié, jouissant d’une grande fortune, dit Gama Machado, avait la passion du jeu et passait des nuits à jouer : elle mourut jeune d’une maladie pulmonaire. Son fils aîné, qui lui ressemblait parfaitement, était également passionné pour le jeu. Il mourut de consomption, comme sa mère, et presque au même âge qu’elle. Sa fille, qui lui ressemblait, hérita des mêmes goûts, et mourut jeune. » L’hérédité du penchant au vol, au viol, à l’assassinat, au suicide, a été constatée dans nombre de cas.

Au fur et à mesure qu’on s’élève des régions purement physiologiques ou pathologiques à celles où l’activité de l’esprit intervient davantage, on voit l’hérédité perdre de sa force et de sa constance. Il y a eu des familles de savans, celles des Cassini, des Jussieu, des Bernoulli, des Darwin, des Saussure, des Geoffroy, des Pictet. Dans la littérature et l’érudition, on cite les Estienne, les Grotius et quelques autres. Les Mortemart étaient célèbres pour leur esprit Le génie de la politique et celui de la guerre se sont parfois perpétués dans certaines maisons pendant plusieurs générations. A tout prendre, ces faits de transmission des facultés psychiques ne sont pas fréquens. Si on les note avec autant de soin, si on les met en relief, c’est apparemment qu’ils ne sont pas ordinaires, sans compter qu’il y en a plus d’un où l’éducation a eu peut-être autant de part que l’hérédité.

Il a paru, il y a quelques années, un livre intitulé Phrényogénie dans lequel on trouve, à côté de beaucoup de propositions chimériques ou paradoxales, une idée qui mérite attention, d’autant plus qu’elle vise une particularité dont les physiologistes ne semblent pas s’être jusqu’ici préoccupés. L’auteur de ce livre, M. Bernard