Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tirées de ces recherches. Nous signalerons succinctement le bénéfice réel des unes, et nous essaierons de réfuter les autres.

D’après M. Galton, dans la famille de Richard Porson, célèbre helléniste anglais, la mémoire était si remarquable qu’elle était passée en proverbe : the Porson memory. Lady Esther Stanhope, qui a mené une existence si aventureuse, cite, entre beaucoup de ressemblances entre elle et son grand-père, celle de la mémoire. « J’ai les yeux gris et la mémoire locale de mon grand-père, dit-elle. Quand il avait vu une pierre sur une route, il s’en souvenait : moi aussi ; son œil, terne et pâle dans les momens ordinaires, s’illuminait comme le mien d’un éclat effrayant dès que la passion le prenait. » — Les facultés imaginatives et créatrices dont le rôle est prépondérant dans les arts et dans la poésie se transmettent parfois des ascendans aux descendans. M. Galton, dans l’ouvrage qu’il a publié il y a quatre ans[1], et M. Th. Ribot, dans son livre tout récent, donnent de longues listes de peintres, de poètes et de musiciens destinées à mettre en évidence le rôle de l’hérédité dans la genèse des talens de ces artistes. Il y a dans ces listes beaucoup de cas où ce rôle ne saurait être révoqué en doute, mais il y en a bien plus encore où il est fort contestable. Ainsi ces auteurs voient une influence de l’hérédité dans le génie poétique de Byron, de Goethe, de Schiller, parce qu’ils retrouvent dans leurs ascendans certaines passions, certains vices ou certaines qualités, comme si ces particularités de caractère étaient déterminantes du génie poétique. En fait, on n’y voit pas un grand poète qui ait reçu ses facultés de ses parens. On y voit qu’un grand poète engendre quelquefois des poètes médiocres, ce qui n’est pas la même chose. L’hérédité des aptitudes à la peinture est plus réelle ; sur une liste de quarante-deux peintres célèbres italiens, espagnols ou flamands, M. Galton en note vingt et un qui ont des parens illustres. Les noms des Bellini, des Carrache, des Téniers, des Van Ostade, des Miéris, des Van der Velde, des Vernet, témoignent assez de l’existence de familles de peintres. On rencontre dans la famille de Titien neuf peintres de mérite. L’histoire des musiciens offre des cas plus surprenans. La famille des Bach commence en 1550 et se termine en 1800 ; son chef fut Veit Bach, boulanger à Presbourg, qui se délassait de son travail par le chant et la musique. Il avait deux fils qui commencèrent cette suite non interrompue de musiciens du même nom qui inondèrent la Thuringe, la Saxe et la Franconie pendant près de deux siècles. Tous furent organistes ou chantres de paroisse ou ce qu’on appelle en Allemagne musiciens de ville. Lorsque, devenus trop nombreux pour vivre rapprochés, les

  1. Hereditary Genius, London 1869.