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toujours remuée jusqu’au fond de son âme. ― Cette fois, fermant à demi les paupières, elle soutint son regard avec un sourire dédaigneux. ― Donne-moi ma pelisse, dit-elle enfin, je veux m’en aller.

Vladimir, sans dire un mot, lui mit sa pelisse de zibeline sur les épaules. Elle fit quelques pas vers la porte, et s’arrêta. Une rage subite la mordit au cœur en le voyant si maître de lui-même, si fier de sa vertu. Elle sentit que pour le dominer entièrement, pour avoir sur lui pouvoir de joie et de larmes, il fallait le forcer dans ses derniers retranchements. Frappant la terre du pied, elle dit d’une voix brève et nette : ― Je reste. ― Et, avec un mauvais sourire, elle s’assit dans le fauteuil.

― Pardonne-moi, dit Vladimir au bout de quelques instants, je t’ai offensée, j’en suis désolé. Écoute moi, Olga, ma bien-aimée. Tu connais maintenant mes fermes convictions. Tu m’aimes, je le vois bien, tu ne peux plus te détacher de moi, et moi-même je ne vois pas comment je ferai pour vivre sans toi. Je t’en prie, ma chérie, prends une résolution : quitte ton mari, quitte cette maison dont la paix est détruite, appartiens-moi toute entière : ces mains te porteront à travers les rudes sentiers de la vie ; je veux te servir, te protéger, ne vivre que pour toi seule.

― Mais ne suis-je pas tienne ? dit-elle lentement en levant sur lui ses grands yeux calmes.

Vladimir s’assit tristement sur le vieux divan fané, et baissa la tête sans répondre.

― Tu doutes encore ? - Elle vint se mettre à côté de lui. ― Comme tu trembles, dit-elle. ― Ses pupilles s’étaient dilatées, ses narines frémissaient ; elle était gracieuse et terrible comme une panthère de la forêt. ― Quand tu n’auras plus ta raison, lui dit elle, nous serons égaux.


VI.

Peu de temps après son mariage, Olga avait gratifié sa nourrice d’une petite métairie cachée dans les bois. C’est là que les deux amants se rencontraient. Vladimir appartenait maintenant sans réserve à sa belle maîtresse. Tous deux se sentaient vivre d’une vie nouvelle. Pour Olga, le souvenir du passé était noyé dans le rayonnement qui du fond de son âme s’épandait sur le monde et en dorait tous les aspects. Et, dans ce bonheur infini, elle avait retrouvé une réserve chaste, une timidité de sensitive qui touchait Vladimir jusqu’au plus profond de son être.

Ce fut alors que pour la première fois commença de parler en elle cette seconde voix. Les yeux surhumains de Vladimir avaient