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mêlée de regret. ― J’ai été injuste pour vous, dit-il enfin très ému. Pardonnez-moi, si vous le pouvez. ― Il comprenait qu’il était allé trop loin, et il se sentait désarmé, navré, humilié.

― Ne me raillez pas, reprit la pauvre femme, les yeux noyés de tendresse. ; je suis coupable ; je sens que je suis en train de me perdre. Je ne savais pas ce que c’est que l’amour d’un homme, et je sais maintenant que, dans la vie d’une femme, c’est tout. Je périrai, car celui qui seul pourrait me sauver me repousse...

Vladimir s’efforçait en vain de maîtriser son trouble ; il se cachait le front dans la main. Tout à coup, avec un sanglot, elle se suspendit à son cou, l’entourant de ses bras dans une étreinte désespérée. Vladimir était vaincu : cet homme de fer pleura ; leurs lèvres se rencontrèrent, ils oublièrent tout pendant une minute de mortelle félicité.

Soudain des pas retentirent dans le salon; Vladimir se dégagea et se rapprocha de la fenêtre. Olga, plus morte que vive, s’appuyait contre le bureau. Son mari entra, les considéra l’un et l’autre d’un œil pénétrant, et annonça que la table de Noël était prête. Il ne fit aucune allusion à cet incident, mais tout le reste de la soirée il se montra taciturne, tandis qu’Olga vidait coup sur coup plusieurs verres de tokai et folâtrait avec les enfants. Enfin elle alluma la sainte crèche et appela les serviteurs. Avec eux entrèrent deux chanteurs de kolendy, un vieillard à longue barbe blanche et un jeune gars aux yeux pétillants de malice, qui entonnèrent avec entrain nos admirables vieux noëls, tristement résignés, tantôt rêveurs et pensifs, ou bien débordant d’une folle gaîté, comme est le tempérament de notre race. Tout le monde fit chorus, et comme on chantait les louanges de celui qui était dans la crèche et que les pâtres adoraient parce qu’il était venu pour les affranchir de la mort et des ténèbres, les larmes étouffèrent la voix d’Olga, et elle joignit les mains avec humilité en regardant l’ami à qui elle venait de donner son âme.

Lorsqu’elle se réveilla le lendemain, le monde lui parut changé. Le petit carré de soleil sur le plancher lui causa une joie enfantine ; le tapis de neige du jardin avait un air de fête, les corbeaux qui sautillaient sur les mottes blanches semblaient cirés et brossés, et dans son cœur à elle était un trouble délicieux.

Le second jour de Noël, Mihaël dînait chez un propriétaire voisin, Petit-Russien comme loi, qui avait invité une nombreuse compagnie. Vladimir le savait. Dans l’après-midi, à la tombée du jour, les clochettes de ses chevaux tintèrent dans la cour. Olga s’élança au-devant de lui, puis s’arrêta un peu honteuse, et lui tendit la main, les yeux baissés. Vladimir serra cette main, qui tremblait, et