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se donnait l’air de chercher quelque chose dans la chambre. D’ordinaire il était d’une pâleur verte avec des taches de rousseur. Une fois assis à côté de son élève, c’était un autre homme : il tenait la règle au poing, appuyée sur la hanche comme un sabre de cavalerie ; sa voix vibrait, et dans ses yeux brillait un feu tranquille dont Olga sentait, sans le savoir, la chaleur. Parfois, à l’heure du crépuscule, Toubal tirait de dessous son oreiller un vieux cahier usé, et lui récitait des vers qu’il avait choisis dans les meilleurs auteurs ; son visage flétri semblait alors transfiguré, et sa voix avait une douceur pénétrante qui allait à l’âme.

Un jour, ― c’était la fête d’Olga, ― ses parents avaient invité quelques voisins à un bal de famille. Vers midi, Olga descendit au jardin afin d’y faire son bouquet pour la table. Tout à coup elle se vit en face de Toubal en pantalon et gilet blancs, cravate blanche et habit noir qui montrait la corde. Il était peigné et parfumé ; après avoir balbutié quelques vers, il tira de son sein un petit paquet qu’il tendit en tremblant à son élève. Olga n’osa le regarder ; elle prit l’offrande, remercia et s’enfuit vers la maison, où elle se jeta au cou de sa mère en riant de plaisir. ― Toubal m’a souhaité ma fête, maman, dit-elle. Il m’a fait un cadeau, le pauvre garçon.

― Qu’a-t-il bien pu te donner ? repartit la mère en fronçant les sourcils ; j’espère que ce sont des dragées ou quelque chose de semblable ?

― Des dragées sans doute, répéta timidement Olga en tenant le petit paquet à distance. - Sa mère le prit, l’ouvrit ; l’innocent papier renfermait deux paires de gants. ― Des gants ! s’écria la mère.

― C’est vrai, des gants ! répéta Olga, qui rougit beaucoup.

― Il faut les lui renvoyer sur l’heure avec une lettre...

― Moi, lui écrire ? dit Olga en relevant orgueilleusement la tête.

― Tu as raison. Renvoie-lui ses gants sans un mot... Où a-t-il pu trouver l’audace ?... Voilà une journée qui commence mal.

Les gants, ficelés et cachetés, furent renvoyés à Toubal, qui ne parut pas à dîner, et fit dire qu’il était malade. Il l’était depuis longtemps, malade de la poitrine. Pendant qu’il toussait sur son lit et que ses larmes coulaient, Olga, toute à la joie, tourbillonnait dans les bras de ses danseurs...

Ici la somnambule, qui était restée immobile jusqu’alors et avait parlé d’une voix basse et monotone, fit un mouvement. ― Je ne puis raconter avec ordre, dit-elle, je vois trop de choses à la fois. Les images passent comme les nues chassées par le vent ; je vois tout, chaque ombre, chaque couleur, j’entends chaque son...

Une troupe de comédiens ambulants qui venait de Moldavie et allait en Pologne était de passage à Kolomea, et y donnait des représentations.