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rien. » L’histoire de la campagne du nord est tout entière dans ces quelques mots. Tandis que les Prussiens, après chaque affaire, retrouvaient leur effectif, nous n’avions, nous, ni réserve à mettre en ligne, ni renforts à espérer ; après chaque marche, on ramassait par centaines les souliers de carton et les sabots perdus par nos soldats dans la neige ou la boue ; les malades et les écloppés laissaient dans nos rangs des vides que l’on ne pouvait combler, et l’effort du jour rendait impossible l’effort du lendemain.

Les Prussiens s’étaient retirés derrière la Somme. Tous les passages de cette rivière étaient fortement gardés ; de nouvelles troupes arrivaient continuellement de la Normandie, et le général Faidherbe dut renoncer à une attaque qui ne présentait aucune chance de succès. Il conçut alors un plan très remarquable, et qui aurait donné sans aucun doute des résultats importans, si le verglas et le dégel n’avaient point opposé à nos troupes des obstacles inattendus. Ce plan consistait à se porter rapidement sur l’Oise, à s’établir dans de bonnes positions en arrière de cette rivière, et à lancer de là des colonnes volantes, pour couper les voies ferrées et détruire les viaducs entre Laon et Reims, entre Reims et Soissons, tandis que des volontaires seraient passés sous un déguisement par la Belgique, pour exécuter le même coup de main à Carignan[1]. Les francs-tireurs ayant déjà détruit le tunnel des Ardennes, les communications par les voies ferrées avec l’Allemagne auraient été complètement coupées, si ce plan avait été exécuté ; mais il fallait marcher vite, et l’armée, par suite des variations de la température, mit quatre jours pour faire une route que, dans des conditions ordinaires, elle aurait pu faire en un seul.

Dans la nuit du 15 au 16 janvier, les chemins se couvrirent de verglas. Un long convoi de 300 voitures réquisitionnées dans les villages et conduites par des paysans, chargé de vivres et de tous les objets de première nécessité, marchait en tête des colonnes françaises. Les chevaux n’étaient point ferrés à glace ; ils s’abattaient à chaque pas, et l’on fut obligé d’atteler les hommes aux voitures. Le dégel succéda au verglas, et la marche n’en fut que plus difficile encore. Le 16, le 17 et le 18, les soldats n’eurent pas même le temps de faire la soupe. L’armée prussienne, toujours très exactement renseignée, profita de ces retards pour marcher à

  1. Le général Faidherbe, dans sa brochure, ne parle pas de cette combinaison ; mais l’auteur des Opérations de l’armée du nord en donne le détail d’après un projet tracé de la main même du général. — Le passage par la Belgique se serait effectué sans difficulté, car la population nous est très sympathique ; un grand nombre de volontaires belges étaient venus prendre du service dans l’armée du nord, où ils se sont très bien conduits.