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très grièvement. La population civile comptait 5 victimes, dont 3 femmes[1] ; 74 maisons étaient complètement rasées, 674 autres avaient été plus ou moins sérieusement endommagées, 22 seulement étaient restées, intactes. D’après la Gazette militaire de Berlin, les Prussiens avaient perdu 300 hommes, et 440 d’après la Gazette de Cologne ; ce dernier chiffre est le plus vraisemblable, car on vit passer dans les villages voisins plusieurs convois de morts et de blessés et une trentaine de canons démontés par le feu des assiégés.

Malgré la glorieuse défense du commandant Garnier, le général Faidherbe le blâma sévèrement, et le menaça même de le traduire en conseil de guerre sous prétexte que les lois militaires condamnent à la peine capitale tout commandant qui livre une place sans avoir forcé l’assiégeant à passer par les travaux lents et successifs des sièges, et avant d’avoir repoussé au moins un assaut au corps de la place sur des brèches praticables. Cet ordre du jour a excité une douloureuse surprise dans tout le nord de la France, où les éminens services du général sont cependant si hautement appréciés. La surprise a été partagée par quelques-uns des officiers les plus distingués de son état-major, et M. Ramon nous apprend, d’après une source très sûre d’informations, que l’un d’eux s’est étonné publiquement que le commandant Garnier, à la lecture de la dépêche qui réclamait sa mise en accusation, n’ait pas osé demander que le général fût cité contradictoirement avec lui devant le conseil de guerre. Péronne avait entendu le canon de Bapaume ; elle espérait une armée de secours, et cette armée n’est point venue. Les motifs que donne le général Faidherbe n’ont point paru suffisans pour justifier l’abandon d’une ville à la possession de laquelle l’ennemi attachait une si grande importance. Au lieu de marcher en avant après la victoire de Bapaume, l’armée du nord se replia dans la direction d’Arras, et cependant les Prussiens étaient à bout de forces ; plusieurs de leurs régimens se repliaient en désordre, des estafettes accouraient pour faire rétrograder les convois de munitions dirigés sur la place, ces convois partaient aussitôt sur la ligne de retraite, et quelques officiers, en voyant la satisfaction que ce mouvement de recul produisait parmi les habitans qui se trouvaient sur leur route, se livrèrent à leur égard à des actes d’inqualifiable brutalité. Quelques-uns allèrent même jusqu’à souffleter des femmes qui se tenaient sur le pas de leur porte pour les voir passer. Le 11, à la nouvelle de la capitulation, un journal du

  1. Le feu avait fait peu de ravages sur la population, qui était entassée dans les caves et les casemates ; mais les maladies furent très nombreuses et très meurtrières, pendant le siège et les six mois qui le suivirent, Péronne perdit autant d’habitans que pendant trois années ordinaires.