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particulièrement changées des opérations du siège, tandis qu’un corps, d’observation d’environ 12,000 hommes avec seize escadrons et trente canons battait l’estrade entre Péronne et Arras pour couvrir l’investissement du côté du nord, et qu’un autre corps de cinq bataillons, douze escadrons et six batteries était échelonné le long de la Somme, et reliait les assiégeans au gros des troupes allemandes[1]. C’était donc en tout trente-six escadrons de cavalerie qui se trouvaient attachés à l’armée de siège. Cette cavalerie ne cessa point un seul instant de courir la campagne à de très longues distances en maintenant les communications par de petits groupes d’éclaireurs. Dès le lendemain du jour de l’investissement, le 27 décembre, dix batteries allemandes étaient prêtes à faire feu, et c’était un beau champ de tir, car la partie habitée de la place offre à peine une superficie de 28 hectares. Le lendemain à midi, le général de Senden envoya un parlementaire sommer la garnison de capituler. Le commandant Garnier remit au parlementaire la lettre suivante : « Je n’ai qu’une réponse à faire à votre sommation. Le gouvernement de mon pays m’a confié la place de Péronne, je la défendrai jusqu’à la dernière extrémité, et je fais retomber sur vous la responsabilité de tous les maux qui de votre fait, et contrairement aux usages de la guerre entre nations civilisées, atteindraient une population inoffensive. »

Le parlementaire s’éloigna en annonçant que le bombardement commencerait à deux heures. Les batteries ennemies n’attendirent même pas que cette heure fatale fût sonnée : elles la devancèrent de quelques minutes, et firent pleuvoir sur la malheureuse ville une grêle d’obus. Trois drapeaux blancs à la croix rouge de Genève avaient été arborés la veille sur l’hôpital, ils servirent de point de mire aux Prussiens, qui dirigèrent sur eux leurs premiers coups, comme s’ils avaient voulu faire savoir à la population que pour se rendre maîtres d’une ville qu’il leur fallait à tout prix, suivant le mot de Manteuffel, ils ne reculeraient pas devant les actes de la plus révoltante barbarie. L’incendie ne tarda point à s’allumer ; les sœurs de charité, aidées de quelques soldats, procédèrent avec un héroïque dévoûment à l’évacuation des malades, des infirmes et des blessés, qu’elles transportèrent sur des brancards à la caserne[2]. Tandis qu’elles opéraient ce dangereux sauvetage, l’ennemi redoublait son feu contre l’hôpital en flammes, et l’on estime à plus de trois cents les obus qui vinrent le frapper en quelques heures. D’autres incendies éclatèrent bientôt, et pendant la nuit les

  1. Lettre du général von Goeben, citée par M. Gustave Ramon.
  2. Au nombre des blessés se trouvait un cavalier prussien, pris quelques jours auparavant dans une reconnaissance. Un habitant de Péronne se jeta au milieu de l’incendie pour le sauver,