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de Lamark, le comte de Dammartin et le sire d’Estourmel, le descendant du vaillant chevalier picard qui avait planté le premier la bannière française sur les murs de Jérusalem, s’étaient enfermés dans la ville avec la ferme résolution de s’ensevelir sous ses ruines, car la vieille noblesse française ne marchandait point son sang lorsqu’il s’agissait du salut du royaume. La place n’était pas mieux armée en 1536 qu’elle ne l’était en 1870 ; mais le courage des habitans et de la garnison[1] fit échouer les efforts des assiégeans. Deux brèches étaient ouvertes, l’ennemi donna deux assauts et fut repoussé avec des pertes considérables. A la seconde attaque, au moment même où il allait franchir une petite brèche qu’on avait laissée sans défense, une femme, Marie Fouré, aperçut un porte-étendard qui cherchait à monter sur le parapet ; elle alla droit à lui, comme si elle eût voulu l’aider à franchir l’escarpe, lui fit signe de lui tendre la hampe de son drapeau, et, quand elle l’eut saisie, elle l’en frappa violemment sur la tête, le précipita dans le fossé et cria : Victoire ! Quelques soldats accoururent aussitôt, et la ville fut sauvée.

Cependant les munitions commençaient à manquer. Lamark résolut de demander des secours au duc de Vendôme, qui se trouvait alors à Ham ; mais comment lui faire parvenir la demande ? Un soldat de Montdidier, Jean de Haizecourt, se chargea de cette mission périlleuse : il passa la Somme à la nage à travers les arquebusades et remit la missive à Vendôme. Celui-ci, qui connaissait l’importance militaire de Péronne, s’empressa d’envoyer des renforts. Il confia l’expédition au jeune duc de Guise, qui faisait ses premières armes sous ses ordres : Guise partit avec 200 chevaux et 400 arquebusiers, portant chacun un sac de poudre de 10 livres ; il rassembla les tambours et les trompettes de son armée, et les fit arriver vers minuit aux abords du camp des Allemands, en les éparpillant dans la campagne. Tout à coup la charge battit sur toute la ligne, les assiégeans coururent aux armes et se massèrent autour de leur artillerie pour la défendre. Les arquebusiers franchirent les lignes et entrèrent dans la place, car les vaillans capitaines du XVIe siècle trouvaient toujours moyen de traverser les lignes les mieux gardées. Le comte de Nassau ne s’aperçut que le lendemain au point du jour de la ruse dont il avait été dupe. Pour se venger, il ordonna un troisième assaut, qui fut repoussé comme les autres. Ce nouvel échec le décida à lever le siège ; mais, avant de décamper, il voulut faire des adieux sanglans à la ville que les

  1. Cette garnison se composait de 200 hommes d’armes et de 2,000 hommes de la légion provinciale de Picardie. Les troupes régulières et les mobilisés s’y trouvaient donc à peu près dans la même proportion qu’en 1870.