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en plein jour devant la porte de son église pour avoir voulu lui-même exploiter sa terre ; un berger fut frappé d’une balle au moment où il causait au milieu d’une rue avec quelques habitans de son village, et les magistrats qui se rendirent sur les lieux se retirèrent sans avoir pu obtenir par la douceur ou par la menace la moindre révélation. Dans les dernières années du règne de Louis XVI, l’audace des incendiaires et des assassins en était venue à un tel point, et l’impuissance de la répression était si grande, que quelques publicistes picards proposèrent de déporter en masse dans les colonies la population du Santerre.

Aujourd’hui, en 1873, le droit de marché règne encore en maître dans les fertiles contrées qu’il a stérilisées si longtemps. Les meurtres sont de plus en plus rares, mais l’incendie est resté l’arme favorite de la vengeance. En 1860, pour ne citer qu’un exemple, un propriétaire des environs de Péronne avait repris sa terre et fait bâtir une ferme pour l’exploiter lui-même ; pendant cinq ans, aussitôt la moisson terminée, ses granges et ses récoltes étaient livrées aux flammes ; les paysans se rassemblaient pour les voir brûler, et deux pauvres femmes qui avaient porté quelques seaux d’eau avec les domestiques de la ferme furent forcées de quitter le pays. D’Albert à Ham et de Nesle à Combles, on peut voir des pièces de terre complètement incultes, comme au temps des invasions normandes, et sur la commune de Mons-en-Chaussée il en est qui sont restées en friche depuis soixante ans. Malgré les constans efforts de la magistrature et des autorités départementales, le droit de margelle existe encore dans une centaine de communes environ, et ce ne sont pas les théories radicales et socialistes, dont il n’est en réalité qu’une désastreuse application et qu’on cherche à propager dans les campagnes, qui aideront à le faire disparaître.


III. — HAM ET SA PRISON D’ETAT. — ALBERT. — NESLE. — LES PRUSSIENS A FOUCAUCOURT ET A CLERY.

Ham est une petite ville de 2,500 habitans, située en plein Santerre, sur les bords de la Somme. Elle date de loin, car sa charte de commune est antérieure à 1142, et la crypte très remarquable de son église renferme des tombeaux au millésime de 1234 Comme Saint-Valéry, Rue, Le Crotoy, Doullens, Roye, Corbie, elle a été assiégée et brûlée dix ou douze fois ; grâce à son industrie, elle s’est toujours relevée de ses ruines. Aujourd’hui elle a des fabriques d’étoffes, des tanneries, des minoteries, des distilleries, des sucreries, des ateliers d’où sortent des instrumens aratoires très perfectionnés, et telle est son ardeur au travail qu’au milieu des plus graves événemens de la dernière guerre, au moment même où