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II. — DOULLENS. — MONTDIDIER. — ROYE. — LES PRECURSEURS DU QUIETISME EN PICARDIE. — LE SANTERRE ET LE DROIT DE MARCHE.

Placé à l’extrémité du département de la Somme, vers le Pas-de-Calais, Doullens ne ressentit que faiblement le contre-coup de la guerre allemande, et ce fut là comme un juste dédommagement des maux dont il avait souffert dans le passé, et qui ne justifiaient que trop le nom de Val dolent, vallum dolens, qui aurait été son nom primitif suivant quelques étymologistes picards. En 1522, les impériaux plantent leurs échelles contre ses murs ; les habitans les repoussent avec de grandes pertes ; les Anglais, qui dans tous les temps ont été les fidèles alliés de l’Allemagne, reviennent en force quelques mois après, s’emparent de la ville et la brûlent. En 1595, les Espagnols, au nombre de 15,000 avec vingt canons, reparaissent sous ses murs ; la noblesse picarde accourt pour la défendre ; malgré la plus énergique résistance, elle est écrasée par le nombre. Le 23 juillet de la même année, les Espagnols entrent par la brèche, et 3,000 personnes, y compris les femmes et les enfans, sont jetées sur le pavé. « Ce jour-là dit Sully, il périt plus de capitaines que dans les trois batailles de Courtray, d’Arqués et d’Ivry. » En 1708, les pandours du prince Eugène brûlent les faubourgs et les villages des environs, et, le 20 février 1814, une colonne de 1,500 cavaliers russes, saxons et wurtembergeois, met encore une fois la ville au pillage[1].

Une seule église, celle de Saint-Martin, est restée debout à Doullens. On y montre deux tableaux très remarquables, le Couronnement de la Vierge et un Ecce homo, attribués à J.-B. Ribeira, élève de l’Espagnolet. Les anciennes fortifications ont disparu, et la citadelle en est le seul et dernier vestige. Cette forteresse, transformée suivant les vicissitudes de la politique en prison d’état, a vu, comme le château de Ham, passer dans ses casemates des personnages bien divers, Gaston d’Orléans, le frère puîné de Louis XIV, Mazarin, le comte de Maillebois, le duc du Maine, qui s’était sottement engagé dans deux entreprises malheureuses, — la traduction de l’Anti-Lucrèce du cardinal de Polignac, pour arriver à l’Académie française, et la conspiration de Cellamare, pour arriver au trône. Pour ceux-là du moins, la détention ne fut qu’une sorte de villégiature de quelques mois ; pendant la terreur au contraire les suspects, mis en dépôt dans la vieille forteresse, n’en sortirent que pour monter sur

  1. Les environs de Doullens ont été, pendant les guerres du XVIe siècle, le théâtre de combats continuels. En 1523, Antoine de Créqui, « l’un des plus vaillans hommes de France, s’y soutint sans plier, avec 450 lances si 200 fantassins, le choc d’une année anglo-allemands de 30,000 hommes.