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1866 devaient satisfaire son orgueil sans inquiéter sa conscience ; la guerre de 1866 a été surtout la revanche de cette campagne de 1851 où son frère et prédécesseur Frédéric-Guillaume IV, voulant constituer l’union restreinte en dehors de l’Autriche, fut contraint de reculer devant le prince de Schwarzenberg. Cependant cette revanche de 1851 avait entraîné des actes bien peu conformes à la politique de conservation, ou plutôt de transformation progressive, que son frère et son père avaient si religieusement conçue et si loyalement pratiquée. Ces souvenirs, dit-on, sont pénibles à l’empereur. La situation surtout est devenue bien autrement délicate depuis 1870. Il y a en ce moment même un symptôme qui frappe tous les yeux. D’où vient que M. de Bismarck veut s’éloigner de la scène politique ? On a beau alléguer la fatigue, le besoin de repos, il paraît que la cause est plus sérieuse. M. de Bismarck, qui a des doutes sur la solidité de son œuvre, voudrait l’achever pour l’affermir ; l’empereur, qui a des doutes sur la légitimité de tel de ses actes, ne veut pas se laisser entraîner plus loin dans la voie révolutionnaire. Mais non, décidément il est trop malaisé pour un Français de traiter ces questions, nous laisserons la parole à un publiciste autrichien dont les renseignemens sont conformes aux nôtres. Voici ce qu’on lisait le 17 juillet dernier dans la sage et libérale Réforme :


« La crise qui plane sur la politique de l’empire prusso-allemand se résume ainsi : M. de Bismarck veut aller énergiquement et violemment en avant, afin d’achever l’œuvre de l’unité nationale au moyen, de l’état centralisateur, impérialiste, césaro-papiste. L’empereur Guillaume au contraire n’aspire plus qu’au repos. M. de Bismarck est un hardi politique d’aventure ; il pousse toujours les choses à l’extrême, et son ultima ratio, ce sont les canons. Ce n’est pas un paradoxe de dire que M. de Bismarck est bien plus un soldat qu’un homme d’état. En 1866 et en 1870, il a fait son œuvre à la pointe de l’épée ; mais l’épée aurait pu fléchir, et alors que serait devenue la Prusse ? En ces deux circonstances, M. de Bismarck a placé la Prusse dans une situation extrêmement dangereuse. Les soldats s’en sont tirés avec bonheur, et M. de Bismarck compte sur le même bonheur pour l’avenir ; mais l’empereur veut le repos, il se trouve dans la même disposition d’esprit que Frédéric le Grand aux dernières années de sa vie.

« Aux yeux de M. de Bismarck, ce qui a coûté des flots de sang, ce qui a coûté des cadavres par centaines de mille est l’œuvre de son génie ; cette œuvre, il est impatient de la voir dans sa splendeur complète. Il s’exalte à la pensée d’avoir créé un nouvel empire d’Allemagne, et il veut que cet empire embrasse en effet tous les états allemands. Au contraire, l’empereur Guillaume et d’autres princes de la maison de