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humaine, vous l’avez appelé l’Allemagne. Moi au contraire, du 18 mars 1848 jusqu’à l’heure présente, je n’y ai vu autre chose que la chute, la chute hors de Dieu ! Oh ! cher ami, ne lisez pas ces mots avec dédain. C’est bien sans le moindre doute, sans la moindre hésitation, que je donne à ce monstrueux bâtard le nom qui lui est propre. Sachez-le, cher Bunsen, voilà les circonstances qui rendent, humainement parlant, toute entente impossible entre nous. Depuis la destruction du religieux édifice des mœurs, des groupes et des droits de la vieille Allemagne, ce qui m’a le plus déchiré le cœur, c’est que notre sainte formule de ralliement, « l’Allemagne, l’unité allemande, » est peut-être livrée pour toujours au mépris, au reniement, à l’indignation de toutes les nobles âmes ; — c’est que le mot qui me transperçait le cœur depuis cinquante ans et me faisait éprouver des frissons d’enthousiasme est devenu le mot de passe, que dis-je ? le mot hypocrite qui sert de masque à toute déloyauté, à toute félonie, à toute infamie… »


Qu’on veuille bien ne pas oublier ces paroles ; c’est ce que j’ai appelé le dernier mot de Frédéric-Guillaume IV dans cette affaire, sa protestation contre toute injustice, son avertissement solennel à l’Allemagne.


III

Comment étudier cette histoire vieille déjà d’un quart de siècle sans qu’à tant instant le souvenir des événemens de nos jours vienne obséder notre esprit ? Il y a là des rapprochemens auxquels nul ne saurait échapper. On se demande non pas ce que Frédéric-Guillaume IV penserait des dernières transformations de l’Allemagne, mais de quels termes il se servirait pour exprimer sa pensée. Se peut-il que Frédéric-Guillaume IV soit le seul des hommes de sa race à concevoir ces hautes idées du droit ? Est-il le seul, avec son père Frédéric-Guillaume III et sa noble mère, la reine Louise, ; à flétrir la politique de la force et de l’injustice ? Nous ne le croyons pas. Ce sujet sans doute est difficile à traiter. Bien des choses nous empêchent de parler librement du prince que nos désastres de 1870 ont fait empereur d’Allemagne. Ce n’est pas à nous de le louer, s’il a mérité des éloges, et, s’il a failli, ce n’est pas à nous de le condamner. La justice comme la dignité nous obligent au silence, ces questions appartiennent à l’histoire. Il semble toutefois que, sans manquer à notre dignité, nous puissions rendre un certain hommage à l’empereur Guillaume en signalant la situation présente de son esprit. D’après des informations que nous avons tout lieu de croire exactes, l’empereur Guillaume n’est pas sans trouble au sujet de l’empire d’Allemagne. Assurément les résultats de la guerre de