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« Ma profonde émotion en prononçant ce discours, mes angoisses visibles à la pensée de ce qui arriverait si l’on ne suivait pas le droit chemin, par-dessus tout le sentiment qu’il avait de ma conviction comme de ma fidèle et inaltérable amitié, firent impression sur le roi. Il me confia quelques lettres intimes de Radowitz et de Boddien, puis il m’ajourna au lendemain pour une délibération officielle sur ce même sujet. Il était huit heures du soir lorsque je rentrai chez, moi profondément ému, sans me rendre à la réception de la reine. Je me mis à prier… »


Le lendemain, 20 janvier, une nouvelle conférence eut lieu entre le roi et Bunsen, en présence du comte de Brandenbourg, président du conseil des ministres. Le roi était plus calme, il écoutait attentivement ; il donna raison à Bunsen quand celui-ci affirma de nouveau que les propositions de l’Autriche morcelleraient l’Allemagne et anéantiraient la Prusse ; il continuait pourtant de repousser toute idée d’entente avec Francfort. Le ministère Brandenbourg avait préparé depuis plusieurs jours une circulaire adressée à tous les états allemands pour les engager à faire connaître au parlement leurs vues sur le projet de constitution, sans tenir compte des propositions autrichiennes ; le roi n’approuvait pas cette circulaire, Bunsen au contraire s’y rattachait comme à une transaction. Ce sujet et d’autres encore furent discutés d’une façon très pressante dans la conférence du 20. Embarrassé par les argumens de Bunsen, le roi fit appeler d’une pièce voisine un de ses conseillers grand partisan de l’entente absolue avec l’Autriche (M. de Bunsen ne dit pas son nom). Le nouveau-venu soutint l’avis du roi. Bunsen, sans lui répondre, demanda la permission de continuer son exposé ; c’est au roi seul qu’il s’adressait, c’est le roi qu’il voulait convaincre, directement et sans intermédiaire. Enfin sous le feu de cette argumentation, le roi s’écria : — « Que demandez-vous donc ? — Une seule chose, répond Bunsen : que votre majesté laisse partir la circulaire ; elle est indispensable, et elle ne rompt pas les relations avec l’Autriche. — En avez-vous lu le texte même ? — Certainement, et j’en ai pesé tous les mots. — L’approuvez-vous ? — Sans hésiter. — Eh bien ! dit le roi se tournant vers le comte de Brandenbourg, qu’elle parte. Seulement faites en sorte que nos négociations avec le cabinet autrichien n’en soient pas interrompues. » — Le comte de Brandenbourg n’en croyait pas ses oreilles : une résolution si subite après de si longues résistances ! Le roi se leva, dit encore quelques mots et passa dans sa chambre. « Il faut convenir, dit le comte de Brandenbourg, que notre seigneur et maître n’a pas la tête organisée comme tout le monde.