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périssables ; l’unité allemande est nécessaire. Et qu’on ne dise pas à Bunsen que c’est là le vocabulaire de la révolution : quand il s’agit de l’unité de la patrie, le mot de révolution ne l’effraie plus.

On devine l’effet que ces paroles produiront sur le roi. À cette déclaration révolutionnaire de son ami, Frédéric-Guillaume oppose la déclaration légitimiste la plus résolue ; il n’y a d’autre droit que le droit divin ; il n’y a de souverains que les souverains par la grâce de Dieu. Est-ce qu’il s’agit de savoir si les princes d’Allemagne consentiront à offrir au roi de Prusse la couronne impériale préparée par l’assemblée de Francfort ? Pas le moins du monde. Cette couronne est de fabrique révolutionnaire, ce n’est donc pas une couronne. Dussent les princes s’oublier au point de présenter ce je ne sais quoi au roi de Prusse, ils ne changeraient rien à la nature des choses. La marque révolutionnaire est là ineffaçable, indestructible, et il y aurait un Hohenzollern qui porterait un pareil bric-à-brac ! — Mais c’est lui-même qu’il faut entendre ; c’est de sa bouche qu’il faut recueillir les paroles méprisantes dont il flétrit les souverainetés illégitimes et les couronnes volées :


« Mon très. cher Bunsen, vos dernières lettres confirment ce que j’avais déjà remarqué à Brühl et voulu empêcher de mon mieux : c’est que nous ne parvenons pas à nous comprendre dans les Germaniana[1], ou plutôt que vous ne me comprenez pas. Le mot est dur, je le sens, mais il faut que l’ami veuille bien le passer à l’ami. Je vous comprends, je comprends vos raisonnemens ; mais vous, vous ne comprenez pas les miens ; sans cela, vous n’auriez pas écrit comme vous l’avez fait. Je m’explique : vous n’auriez pas, dis-je, comme vous l’avez fait, qualifié d’une façon légère et comme une difficulté insignifiante les empêchemens absolus qui se dressent entre moi et cette couronne. Vous dites (en propres termes, ainsi que M. de Gagern me le disait le 26 et le 27 de ce mois) : « Vous voulez l’assentiment des princes ? Parfaitement ; vous l’aurez. »

« Mais, mon très cher ami, toute la difficulté gît précisément là : je ne veux ni l’assentiment des princes à ce choix, ni cette couronne impériale. Comprenez-vous les mots soulignés ?

« Je vais vous mettre cela en pleine lumière, aussi brièvement et aussi vivement que possible. D’abord cette couronne n’est pas une couronne. La couronne que pourrait prendre un Hohenzollern, si les circonstances permettaient que cela fût possible, ce n’est pas, même avec l’assentiment des princes, la couronne fabriquée par une assemblée

  1. C’est bien le mot employé par le roi de Prusse, die Germaniana. Est-ce une distraction ou une fantaisie ?