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mal, et la guerre avec le Danemark. Les affaires étrangères m’appartiennent. Je devais les traiter avec lui, non pas avec le conseil des ministres, et en principe c’est ce que je veux qui doit être fait. L’exécution de ce que j’ai résolu est l’affaire du ministère. Il en est de même pour l’armée. Je m’entendrai avec Schreckenstein, cela suffit. Berlin est une maison de fous ; je n’aurais qu’à faire un signe, et les provinces accourraient : c’est moi qui les retiens ; mais il y a 10,000 hommes à Berlin et 23,000 dans les environs, tous animés du meilleur esprit. Le peuple d’ailleurs, en dehors de Berlin, est bon, entièrement bon, d’un bout à l’autre du pays. »

Ce langage annonçait une lutte prochaine. Ne parlons pas de coup d’état. La révolution, c’est la guerre ; jeté en pleine révolution, c’est-à-dire en pleine guerre, le roi de Prusse prenait ses positions et préparait ses mouvemens. « Je m’entendrai avec Schreckenstein, cela suffit. » Schreckenstein, c’était le ministre de la guerre, un homme d’action, un vrai soldat, qui opposait un calme imperturbable et une parfaite bonne humeur à l’impudence des démagogues et au tumulte de l’assemblée nationale. M. de Bunsen, qui lui rend ce témoignage, ajoute ces mots dans les notes de son voyage à Berlin : « Schreckenstein est de la Bavière rhénane et il a servi sous Napoléon. » Il était probable qu’un tel ministre, étranger aux discussions politiques et dévoué avant tout à la cause de l’ordre, n’hésiterait pas à défendre Frédéric-Guillaume IV soit contre les démocrates de Francfort, soit contre les démagogues de Berlin. C’est lui en effet qui, six semaines après, le 17 septembre 1848, fera marcher les troupes prussiennes contre l’émeute de Francfort et la domptera en quelques heures. C’est lui qui étouffera l’agitation de Berlin au mois de novembre. Heureux de voir l’ordre matériel confié à ces robustes mains, Bunsen aurait voulu que l’ordre moral fût représenté avec la même vigueur. L’ordre moral à ses yeux, c’était la pratique sincère du gouvernement constitutionnel, désormais acquis à la Prusse, et un sincère désir de s’entendre avec Francfort pour la fondation de l’unité allemande. Or tout ce que Bunsen voyait à Berlin depuis son arrivée (31 juillet) ne lui permettait plus aucune illusion. Il était évident que le roi n’admettrait jamais ni un gouvernement constitutionnel, s’il était contraire aux principes de la monarchie du grand Frédéric, ni l’unité allemande, si elle était conforme aux idées révolutionnaires du parlement de Francfort.

Les preuves de ces dispositions du roi devenaient de jour en jour manifestes. La plus curieuse de toutes fut ce qui se passa aux fêtes de Cologne le 14 août, quelques jours après la conversation que nous venons de rapporter. On sait quel prix Frédéric-Guillaume IV