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on ait conservé le souvenir, couvrirait encore 1,200 hectares du Paris actuel, si elle se reproduisait. Il y aurait de 2 à 3 mètres d’eau dans les rues basses d’Auteuil et de Bercy; le faubourg Saint-Honoré, le quartier de la Madeleine, les Tuileries, les rues de Lille et de Verneuil, le Jardin des Plantes, la rue Saint-Antoine, même la rue Saint-Lazare, seraient inondés. Que faut-il pour qu’une telle catastrophe survienne? Des pluies non pas continues, mais répétées à de certains intervalles dans le bassin de la Seine, en sorte que les crues partielles des affluens, au lieu de se suivre, comme c’est l’habitude, se superposent et arrivent en même temps sous Paris. Cette perspective, quelque faible qu’en soit la chance, n’a rien que d’effrayant. La science des ingénieurs modernes n’a-t-elle pas de remède contre ce fléau ? Hélas ! l’homme est si faible en présence des grands phénomènes de la nature qu’il lui est impossible d’en arrêter le cours. La vraie source du mal est dans le Morvan, dont les eaux pluviales s’écoulent vers la mer avec trop de rapidité. Ne pourrait-on, s’est-on dit, les emmagasiner au moment des grandes pluies pour les rendre au fleuve aux époques de sécheresse? Quelques chiffres feront comprendre que cette entreprise dépasse probablement les forces humaines. Pendant la crue de 1740, la Seine s’élevant à une hauteur de 7m, 90 au pont de la Tournelle, il est passé en trente jours 3 milliards 800 millions de mètres cubes d’eau sous les ponts de Paris. On a calculé que le niveau aurait été abaissé de 1m,30, s’il avait été possible d’emmagasiner 216 millions de mètres cubes pendant les quelques jours qui précédèrent le maximum de la crue; mais où placer ces réservoirs gigantesques, qui, avec une hauteur d’eau de à mètres, n’auraient pas moins de 54 kilomètres carrés de superficie ? Et quelles dispositions prendre pour qu’ils soient vides juste à l’instant où l’on éprouverait le besoin d’y précipiter l’excédant des crues? Ce n’est pas contre des phénomènes séculaires que l’on prend de ces précautions onéreuses. Mieux vaut s’arranger de telle sorte que les débordemens du fleuve soient inoffensifs. Il faut en préserver les grands centres de population et leur abandonner les campagnes, où le dommage ne se transforme jamais en désastre. C’est ce que l’on a fait d’une façon inconsciente en surélevant peu à peu le niveau de Paris. M. Belgrand propose de compléter les mesures déjà prises par un travail qui ne présente aucune difficulté : c’est de prolonger les quais, tant en amont qu’en aval, jusqu’aux fortifications, et de les élever à une hauteur telle que les plus fortes crues ne puissent passer par-dessus. Le niveau de la Seine dominerait alors le sol habité sans que personne en eût à souffrir, les infiltrations inévitables s’en allant par les égouts prolongés jusqu’à une distance suffisante en aval des fortifications; ce sont là de ces