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fenêtre, qui descend dans la cour, qui se découvre à la vue des morts ; — puis il parle au peuple, le peuple le salue d’applaudissemens, et, quelques instans après, le roi ayant fait des promesses, ils entonnent tous ensemble un chant d’actions de grâces, celui que tu as entendu chanter à mes enfans. Peuple et roi à Berlin sont faits d’une autre étoffe qu’à Paris[1]. »

Il faut se représenter cette foi de Bunsen dans l’autorité royale et cette confiance dans le caractère du peuple pour comprendre qu’il ait pu se réjouir intérieurement des premiers résultats du 18 mars 1848. Certes il ne croyait pas trahir le roi son ami en se félicitant d’une révolution qui allait l’obliger à devenir le roi non de la Prusse seulement, mais de l’Allemagne, de l’Allemagne entière à jamais unie. M. de Bunsen, comme tous les Allemands, voulait l’unité de l’Allemagne, et, comme les trois quarts d’entre eux, il la voulait par la Prusse. Le parlement de Francfort, qui s’était constitué pour établir cette unité, excitait en lui des transports d’admiration. Qui donc avait réuni ce parlement ? Parmi ceux qui firent appel aux électeurs, Bunsen le savait bien, personne n’avait qualité pour cela. Quelques hommes de l’Allemagne du midi, au nom des nécessités publiques, avaient pris l’initiative du mouvement ; toute la nation allemande les suivit. L’empereur d’Autriche, le roi de Prusse, les rois de Bavière, de Wurtemberg, de Hanovre, les grands-ducs, les ducs, les princes, ne furent ni consultés ni bravés ; on se passa d’eux pour proclamer le suffrage universel, tout en mettant leur autorité hors de cause. Une modération inattendue s’alliait aux plus étranges hardiesses. C’est tout cela qui enchantait M. de Bunsen. Il croyait voir se réaliser enfin tous les rêves de sa jeunesse. Veut-on savoir jusqu’où allait son enthousiasme, lisons ce qu’il écrit à un membre du parlement anglais, M. Henri Reeve, le 6 mai 1848, et faisons attention à la date. La convocation de l’assemblée nationale à Francfort est fixée au 18 mai 1848 ; encore une douzaine de jours, et cette grande convention, librement élue par tous les peuples d’Allemagne, va décider sous quelle forme l’unité de l’Allemagne doit s’accomplir. Pendant les travaux préliminaires de cette réunion de notables qui a préparé les voies au parlement, des résolutions graves ont été prises ; les notables par exemple ont refusé de s’entendre avec la diète, l’ancienne diète, qui réclamait pour les gouvernemens le droit de se faire représenter dans ces grands débats. La diète demandait que l’assemblée de Francfort ne fût pas chargée toute seule de faire la constitution de

  1. « People and King are made of différent stuff to those of Paris. » A Memoir of baron Bunsen, t. II, p. 169.